• Il y a avait déjà plusieurs années que les eaux du déluge s’étaient retirées de la surface dela terre. De l’arche accrochée aux flancs du mont Ararat Noé et toute sa famille étaient descendus joyeux de fouler enfin le sol ferme.

    Sem, Cham et Japhet, les trois fils du patriarche, s’étaient immédiatement mis à cultiver la terre encore humide, et, lassés de leurs longues périgrinations, n’aspiraient qu’à une vie calme, au milieu de leurs champs et de leurs vignes.

    Mais Azita, la jeune fille de Noé, était d’humeur vagabonde. Au cours du séjour prolongé qu’elle avait fait dans l’arche, elle avait contracté le goût de l’aventure et des voyages. L’imprévu d’une nouvelle randonnée, pleine de hasards, à travers des terres toutes neuves, l’attirait irrésistiblement.

    Azita qu’accompagnaient plusieurs de ses neveux et nièces, se remit en marche, et, parcourant les continents et les océans, elle erra pendant quelques années encore, infatigable, incapable de se fixer.

    Mais un jour, elle arriva dans un endroit qui lui parut si agréable, si plaisant qu’elle comprit aussitôt que c’était là le lieu rêvé qu’elle cherchait depuis toujours. Elle décida de s’y établir.

    C’était, en effet, un pays où tout promettait un délicieux séjour. Il y avait une vallée assez large, au confluent de deux rivières, dont l’une s’appelait ka Moselle et l’autre, la Seille. Des collines aux pentes mollement ondulées formaient un cirque amplement ouvert. Le climat paraissait d’une grande douceur. On y trouvait en abondance des prunes d’un jaune doré, tacheté de points rouges, si douces à la bouche qu’on croyait manger du miel : les fameuses mirabelles de Lorraine. Le sol était jonché d’autres fruits rouges, veloutés : les succulentes fraises, qui, bien plus tard, devaient faire la renommée de Woippy.

    Azita s’était fixée au cœur du pays messin.

    En quelques années, elle se trouva à la tête d’un peuple nombreux, qu’elle gouvernait avec sagesse et prudence. La région fournissait toute la nourriture nécessaire. Le blé et la vigne y croissaient facilement, dans la plaine et sur le flanc des coteaux. Les forêts environnantes regorgeaient de gibier, et le poisson abondait dans les eaux de la Moselle.

    Ainsi, pendant longtemps, le règne d’Azita se poursuivit sans le moindre incident.

    Mais une catastrophe imprévue s’abattit un jour sur ce peuple laborieux et paisible. Depuis plusieurs semaines, il pleuvait sans interruption sur toute la région. De gros nuages noirs déversaient sans cesse de véritables trombes d’eau, comme au temps le plus affreux du déluge. La Moselle, si sage à l’ordinaire, commençait à déborder dangereusement. Dans la vallée, l’eau montait d’heure en heure, et tous ceux qui avaient établi leur habitation à proximité de la rivière étaient obligés de fuir, abandonnant aux flots en furie leurs biens les plus précieux.

    Azita crut que le déluge allait recommencer. Toutes les terreurs qu’avait engendrées l’affreux cataclysme, lui revinrent à l’esprit.

    Le peuple fut encore plus prompt à s’affoler. De toutes parts, on accourait aux pieds de la reine, là suppliant de construire en hâte un nouveau vaisseau, une arche plus vaste encore que celle de Noé, afin que chacun pût y trouver un refuge.

    Mais Azita réfléchit.

    -        
    Une arche, répondit-elle au peuple, ne pourra jamais vous contenir tous. Et puis, nous serons emportés loin de ces lieux que nous avons choisis et que nous aimons. Les retrouveront-nous à notre retour ? Ce qu’il nous faut pour échapper à l’inondation, c’est un pont haut et solide. Nous nous y réfugierons tous et quand les eaux se seront retirées, nous regagnerons facilement nos maisons.

    Le peuple approuva d’une voix unanime la proposition d’Azita.

    Et aussitôt, les travaux de construction commencèrent sur chaque rive de la Moselle. Dans une hâte fébrile, chacun apporta sa contribution à l’œuvre de salut. Pendant une semaine, on assembla des pieux, on éleva des murs, on construisit les arches du pont.

    Mais un matin, la pluie cessa brusquement et le soleil reparut dans le ciel serein. Peu de temps après, la Moselle regagna son lit.

    Le peuple, qui avait si courageusement entrepris ces immenses travaux, commença dès lors à les trouver bien pénibles. Les uns après les autres, les hommes inventèrent des prétextes pour se soustraire à la corvée. L’un affirmait qu’après l’inondation, son champ réclamait tous ses soins. L’autre prétendait que ses bêtes ne pouvaient plus rester enfermées à l’étable et qu’il devait les conduire au pâturage. Un autre se découvrait soudain une grave maladie, ou un parent souffrant qu’il était dans l’obligation de soigner.

    En quelques jours, le chantier bourdonnant, fiévreux d’une activité intense, devint désert, et les murailles restèrent abandonnées à leur sort.

    Azita n’hésita pas. Car le beau temps, semblait revenu définitivement, et toute menace était écartée.

    Les travaux demeurèrent donc inachevés. Et voilà pourquoi, on voit encore aujourd’hui les arches d’un pont gigantesque de chaque côté de la rivière.





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  • L’aqueduc de Jouy-aux-Arches

     

    A quelques lieues de Metz, on peut admirer à Jouy-aux-Arches, sur la rive droite de la Moselle, entre Ars et Ancy sur la rive gauche, les ruines imposantes d’un aqueduc romain. Cet édifice, construit vraisemblablement au deuxième siècle ou au troisième siècle de notre ère, était destiné à amener à Metz l’eau des sources de Gorze. A cet endroit, l’aqueduc enjambait le cours de la Moselle. Malheureusement, il n’en reste plus aujourd’hui que quelques arches délabrées de chaque côté de la rivière. Mais l’aspect de ces ruines majestueuses suffit à nous donner une idée de l’édifice complet. Celui-ci n’a pas pu résister aux coups répétés des invasions barbares.

    Pourtant, l’histoire n’a pas retenu le nom du bâtisseur de cet aqueduc, l’époque exacte à laquelle celui-ci fut détruit nous est inconnue.

    Voilà peut-être pourquoi l’imagination du peuple, vivement impressionnée par ces vieilles pierres, leur a prêté tout un passé de légendes et les a revêtues des draperies éclatantes de la fable. En voici deux :

     



    Histoire du Légionnaire Mettius

    En ce temps-là, Metz, qui s’appelait Divodurum, était la principale ville de l’importante peuplade gauloise des Médiomatriques. Puissante cité, après avoir combattu les Romains, elle était devenue leur alliée fidèle. Peu à peu, les habitants de la ville avaient imité les coutumes et les usages de leurs anciens adversaires. En quelques années, Metz, à l’instar de Rome, s’était couverte d’édifices remarquables, temples, portiques, thermes, écoles où l’on enseignait le latin, et même d’un amphithéâtre où l’on donnait des jeux de cirque.

    Les légions romaines qui allaient monter la garde sur la frontière du Rhin passaient régulièrement par la ville. Beaucoup d’entre elles s’y arrêtaient et y prenaient leurs quartiers de repos.

    Or, le jeune légionnaire Mettius avait fait la connaissance de la belle Nasidia, fille d’un riche propriétaire de la ville. Les jeunes gens s’étaient tout de suite aimés et ils se rencotnraient dans une villa, située en bordure de la Moselle, en face du village de Gaudiacum (nom que portait alors Jouy-aux-Arches). Au reste, les alentours de Metz étaient à cette époque égayés de nombreuses maisons de campagne, où les nobles de la ville aimaient à se reposer ou à se divertir.

    Un soir, pour rejoindre sa belle, le légionnaire Mettius prit le chemin de Gaudiacum, où il espérait trouver une barque pour franchir la rivière.

    Mais on était au début du printemps et la Moselle, fortement grossie par la fonte des neiges, débordait dans la plaine, où ses flots jaunes et tumultueux charriaient des débris de toutes sortes.

    Aussi, en arrivant à Gaudiacum, Mettius ne parvint-il pas à découvrir, tout au long de la rive inondée, la plus petite embarcation qui lui eût permis d’aller retrouver sa fiancée. Les unes avaient été emportées par les eaux en furies ; les autres avaient té prudemment mises à sec et personne au village ne voulut lui prêter un bateau.

    Remâchant sa déception, Mettius s’en allait tristement sur le bord de la rivière. De l’autre côté, Nasidia était là, qui lui faisait de longs signes d’amitié. Metius songea un instant à traverser la Moselle à la nage. Mais l’entreprise li parut vraiment téméraire, car le courant était trop violent, et agité de tourbillons auxquels le meilleur nageur n’aurait pu échapper.

    Il en était là de ses réflexions amères et déjà il s’apprêtait à rentrer, quand un inconnu, d’aspect sympathique, l’accosta :

    -Salut à toi, noble Mettius !

    - Salut à toi étranger, répondit Mettius, un peu surpris.

    - Que faut-il pour ton service

    - Par Hercule et tous les dieux, aurais-tu une barque à me prêter ?

    - Non. Je n’ai pas de barque, répondit l’inconnu, mais je puis faire beaucoup mieux pour toi. Je puis te construire, en une seule nuit, un vaste pont au-dessus de la Moselle.

    Mettius le regarda ahuri, se demandant si l’étranger ne se moquait pas de lui.

    - Qui es-tu donc, toi qui me tiens un tel langage ? lui demande-t-il.

    - Je suis Satan, le maître des dieux.

    - Je ne connais pas de dieu de ce nom-là, répliqua Mettius Ma mère m’a appris que Jupiter était le père des dieux. Je le crains et l’honore.

    - Mon pouvoir est bien plus grand, poursuivit Satan. En veux-tu la preuve ?... Si tu le désires, je bâtis pour toi un pont sur cette rivière au cours de cette nuit. Pour prix, je te demande seulement ton âme.

    Comme tous les Romains, Mettius était superstitieux. Cette rencontre avec un individu qui se prétendait un dieu l’impressionnait.

    - Soit, dit-il, après un court moment d’hésitation. J’accepte.

    La nuit était tombée sur la campagne. Mettius fit un dernier signe à sa fiancée, et, retirant son manteau, s’étendit sur le sol où il ne tarda guère à s’endormir. Mais son sommeil fut lourd, peuplé de cauchemars affreux.

    Pendant ce temps, Satan avait rassemblé en ces lieux toute une armée de démons. Les uns apportaient d’énormes quartiers de rochers ; les autres maniaient la truelle avec une prodigieuse rapidité, cimentaient les matériaux et tout ce travail, qui eût demandé des années d’efforts, se faisait à une cadence extraordinaire.

    Déjà, les hautes piles verticales s’élevaient au milieu de la rivière. Déjà, on voyait apparaître la voussure des arches. Et Satan, en personne, dirigeait cette multitude d’ouvrier, donnant des ordres brefs à celui-ci, réprimandant celui-là, passant de l’un à l’autre, partout présent, infatigable.

    Mais tous ces diablotins au travail faisaient un tel vacarme que Mettius se réveilla. Il était environ trois heures du matin. Sa surprise fut immense quand il vit le chantier bourdonnant, les puissantes maçonneries s’élevant au-dessus des eaux. Il se frotta les yeux, se croyant encore la victime d’un rêve absurde.

    Mais non, Mettius ne rêvait pas.

    Le pont était bien là, aux trois quarts terminé. Des milliers d’ouvriers, comme d’infatigables fourmis, s’affairaient autour.

    Alors, Mettius prit peur. Les termes de son marché lui revinrent à l’esprit. Il comprit toute la puissance de celui à qui il avait vendu son âme.

    - Mettius allait donc être obligé d’abandonner son âme à un maître aussi puisant, aussi redoutable ?

    Il se leva, torturé par une subite angoisse.

    D’un pas nerveux, il se mit à arpenter la rive, ne sachant quel parti prendre.

    Mais en marchant, il dérangea un cop qui dormait sur la branche d’un buisson. Surpris, l’oiseau se réveilla et croyant que c’était le matin, il lança un joyeux : cocorico !... Aussitôt, tous les coqs de Haudiacum et des environs, réveillés à leur tour, lui répondirent l’un après l’autre, devançant l’aurore d’une bonne heure au moins.

    Alors Satan tendit l’oreille. Trompé par ce chant qui marquait la fin de son empire, il crut lui aussi que l’aube pointait à l’horizon. Il vit son ouvrage inachevé et entra dans une épouvantable fureur.

    Ivre de rage, il bondit sur l’œuvre en construction donna dans les piles d’effroyables coups de pieds ; saisissant les arches à bras le corps, il les ébranla de toute sa force herculéenne.

    Dans un fracas indescriptible, les solides maçonneries s’effondrèrent et tombèrent par pans entiers dans la rivière, dont les eaux, sous la masse formidable, giclèrent à des hauteurs impressionnantes et refluèrent en gros bouillons jusqu’à Metz.

    Il ne resta du superbe ouvrage que quelques arches de part et d’autre de la Moselle, que, dans sa hâte de s’enfuir, le diable n’eut pas le temps de détruire.

    Ce sont ces arches qui existent encore aujourd’hui.


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  • Dans la ville de Metz vivait le Graoully.

    C’était un monstre horrible et redoutable. Il avait l’allure générale d’un gigantesque crocodile. Son cou, allongé se terminait par une tête aplatie. Sa gueule énorme était armée de deux rangées de dents brillantes et acérées comme les dents d’une scie. Ses yeux ressemblaient à deux gros charbons ardents et sa langue pointue et triangulaire brillait comme la flamme d’une forge. Son haleine empestait l’atmosphère d’une odeur de souffre et de corne brûlée.

    Le Graoully se déplaçait assez lentement sur des pattes plutôt courtes, munies de griffes tranchantes et effilées, et sa queue se traînait dans la poussière en formant de multiples ondulations. Des écailles rugueuses, recouvraient tout son corps.

    Il avait deux immenses ailes qui étaient fixées sur son dos.

    Malgré sa masse énorme, le Graoully se déplaçait dans le ciel de Metz en faisant de larges cercles inquiétants. Il n’avait qu’un seul point faible : il avait peur de l’eau et ne s’approchait jamais de la Moselle.

    Le Graoully était la terreur de tous les habitants de Metz et des environs.

    Sa nourriture préférée était la chair humaine.

    Chaque jour il dévorait une proie vivante.

    L’épouvantable bête hantait les abords de l’amphithéâtre romain, en compagnie d’un nombre incalculable d’autres reptiles, plus petits mais non moins effrayants.

    Dans la campagne, les paysans ne s’y aventuraient plus, le bétail ne sortait plus des étables. En ville, plus personne ne se sentait en sécurité.

    Quand il avait faim, le Graoully,  planait longuement en rasant les toits, à la recherche d’une victime à dévorer.

    Les soldats ne pouvaient le tuer, car les flèches glissaient sur sa carapace et les javelots se brisaient contre ses écailles aussi dures que du fer.

    A sa vue, les gens se terraient dans leurs maisons.

    Depuis de nombreuses années, le Graoully exerçait dans la villeses ravages, quand un noble personnage du nom de Clément arriva à Metz vers la fin du deuxième siècle.

    Il venait de Rome, avec la mission de prêcher l’évangile.

    Clément, que le peuple ne tarda pas à appeler Saint Clément, prêchait sur les places publiques et les gens de Metz touchés par son éloquence, l’écoutaient avec une vive attention.

    Un jour un vieux légionnaire lui demanda de débarrasser la ville du Graoully.

    Saint Clément, mis au courant des innombrables méfaits de ce monstre, accepta cette requête.

    Le lendemain matin, il se rendit du côté de l’amphithéâtre où le Graoully se tenait le plus souvent. Il partit seul, sans armes, refusant l’aide de quelques soldats qui lui avaient offert de l’accompagner.

    Le peuple regardait la scène avec crainte.

    Saint Clément s’avançait toujours, sans manifester la moindre appréhension. Son visage exprimait, au contraire une grande confiance.

    Au détour d’une arche, le Graoully se dressa, formidable, prêt à bondir.

    Saint Clément ne broncha pas, il fixa froidement le monstre dans les yeux et étendit la main.

    Le Graoully, surpris, parut hésiter, figé sur place, incapable de mouvements.

    Alors, Saint Clément, retira l’étole qu’il portait et la lança au cou du monstre.

    Elle s’accrocha aux écailles et s’enroula autour de la gorge de la bête.

    Saint Clément serra fortement le nœud ainsi formé et tint le monstre enchaîné.

    Puis il le traîna jusqu’au bord de la Seille et le précipita dans l’eau profonde.

    Dan un énorme bouillonnement, le Graoully disparut pour toujours.

    En remerciement, chaque année les messins organisent une procession et promène à travers les rues l’image du Graoully dans la joie et la bonne humeur.

    De passage à Metz en 1547, Rabelais décrit ainsi le Graoully : « Effigie ridicule et terrible aux petits enfants, ayant la tête plus grosse que le corps, avec larges, amples et horrifiques, mâchoires, bien endentées, tant en-dessus qu’au-dessous, lesquelles avec l’engin d’une petite corde, on faisait l’une contre l’autre, terrifiquement, cliqueter. » (Pantagurel, IV-59)

    La dernière effigie du Graoully est toujours  conservée à la sacristie de la cathédrale de Metz.






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  •  

    C’était vers l’année 1230. L’armée des Croisés, déjà épuisée par la maladie et les privations, venait d’essuyer une sanglante défaite, près de Gaza en Palestine.

    Parmi les nombreux prisonniers chrétiens capturés par les infidèles, figurait Cunon de Linange, sire de Réchicourt, un brave chevalier lorrain qui s’était à plusieurs reprises vaillamment distingué dans les combats dans les troupes du duc de Lorraine.

    Il fut conduit dans une ville inconnue et jeté au fond d’un cachot sans lumière, profond et malodorant, en attendant que le duc eût versé sa rançon.

    Pieds et points liés par de lourdes chaînes, il n’avait comme ami que les rats de sa cellule.

    De nombreuses années s’écoulèrent. Le prisonnier voyait les jours se succéder sans qu’un signe de sa libération n’apparut.

    Sa barbe, qui avaient poussé abondamment ; lui donnaient un visage affreux, hideux à voir, où les yeux seuls avaient conservé quelque chose d’humain.

    Il se sentait abandonné et oublié de tous.

    Il invoquait Saint-Nicolas afin qu’il lui vienne en aide.

    Chaque soir, avant de s’assoupir, il adressait au saint patron de la Lorraine une prière implorante et s’endormait sur des rêves d’évasion.

    Or, le 5 décembre 1240, il pria saint Nicolas avec plus de foi et de ferveur que les autres jours.

    Quelque chose lui disait que la fin de ses malheurs était proche.

    Il s’assoupit et soudain se réveilla en grelottant de froid.

    Où se trouvait-il  donc ?

    En effet, au-dessus de sa tête, il apercevait les étoiles, les étoiles qui scintillaient et qu’il n’avait plus vues depuis 10 ans. Il regarda autour de lui.

    Etait-ce un rêve ?... Les murs de sa prison avaient disparu.

    Il sentait sur son visage un vent vif et glacial.

    Il se leva et vit qu’il était couché sur les marches de l’église de Saint Nicolas de Port, en Lorraine, à quelques lieues de chez lui

    . Le grand saint, exauçant sa prière, l’avait miraculeusement transporté pendant son sommeil sur le parvis de ce sanctuaire.

    Fou de joie et de reconnaissance, il voulut entrer dans l’église, mais elle était fermée.

    Il n’attendit pas longtemps, car un prêtre arriva bientôt pour dire le premier office. Voyant cet être hirsute, couvert de haillons, le prêtre recula de frayeur.

    « N’ayez aucune crainte », lui dit alors le malheureux, je suis Cunon de Réchicourt. Saint Nicolas m’a sauvé.

    « Ce n’est pas possible », dit le prêtre.

    Mais Cunon lui tendit son sceau, marqué aux armes de Réchicourt et de Lorraine. Alors, le prêtre le reconnut et s’écria :

    « Dieu soit loué ! » c’est donc vrai.

    Il fit aussitôt sonner les cloches à toute volée.

    Toute la population accourut pendant l’officie les chaînes que le prisonnier portait encore, tombèrent toutes seules, les lourds anneaux de fer s’écartèrent d’eux-mêmes et roulèrent avec fracas sur les dalles de l’église.

    Ainsi voilà comment Cunon de Réchicourt retrouva t-il la liberté.

     



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  •  

    Entre 1635 et 1636, la Lorraine connut son pire cauchemar, une terrible guerre celle de 30 ans s’abattit sur cette province. Les Suédois, Allemands, Croates, Hongrois massacraient, tuaient, pillaient tout ce qu’ils pouvaient trouver.

    Des immenses incendies embrasaient le ciel et il flottait en permanence une odeur de fumée irrespirable, des centaines et des centaines d’habitants furent massacrés.

    Le matin du 5 novembre 1635, des soldats Suédois attaquèrent la ville de Saint-Nicolas-de-Port, ils pillèrent, ravagèrent et brulèrent tout sur leur passage.

    Les habitants réfugiés dans l’église étaient terrorisés par tout ce vacarme et attendaient la suite des évènements avec des idées de morts.

    En très peu de temps le village entier était dévasté, il ne restait au milieu de se désastre que l’église.

    Les Suédois enivrés et destructeurs brulèrent le toit de l’église qui s’embrasa en quelques minutes.

    Les hautes flammes montaient très haut dans le ciel et étaient visibles jusqu’à la ville de Nancy.

    Des cris de terreur s’élevaient à l’intérieur de l’édifice.

    Les envahisseurs défoncèrent la porte d’entrée et firent un épouvantable massacre…

    Mais à l’autel de saint Barbe, Dom Moye, bénédictin, achevait de dire sa messe. Quand il se rendit compte de la situation, il saisit le calice et courut se réfugier derrière le gros pilier de la tour Saint-Pierre et se serra étroitement contre lui.

    Soudain, un grand Suédois barbu l’aperçut. L’épée haute, il bondit sur le pauvre bénédictin.

    Mais au même instant, le pilier s’entrouvrit sur le moine, puis se referma aussitôt en l’engloutissant. Interdit, le soldat s’arrêta, le souffle coupé devant le prodige.

    Il frappa plusieurs fois le pilier avec son épée à grands coups, dans l’intention de le démolir. Mais son arme se brisa contre la pierre et furieux, il la jeta en jurant abondamment.

    Ce pilier, qui renferme toujours le moine bénédictin échappé à la fureur des pillards, se voit encore à l’église de Saint Nicolas de Port.

    Lorsque vous mettez l’oreille contre la pierre, vous entendez une plainte lointaine, qui semble sortir du pilier.

    Et quand de graves menaces pèsent sur la Lorraine, quand de pénibles événements sont proches, ce pilier suinte abondamment : on dit alors qu’il pleure. Ainsi, peu avant les guerres de 1870 et de 1914, les fidèles ont vu de grosses gouttes couler le long de la pierre : ce sont : « les larmes que le moine emmuré verse à l’approche de nouveaux malheurs ».

     

     





     

     

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  • Même si le hameau de Salm n'a jamais été une métropole, il importe de lui accorder le respect qui lui est du. Il se compose essentiellement des fermes du château et s'est développé autour de celui-ci. Certes, le château n'a jamais eu de rôle militaire majeur. Construit au Moyen-âge, il était déjà dépassé et ruiné à l'époque de la guerre de Trente Ans. Mais c'est quand même le château. Il est l'éponyme du pays, ce qui n'est pas rien, et les fermes qui lui survivent sont des fermes seigneuriales, ce qui est, pour une ferme, une sorte de titre de noblesse, et, pour le fermier, une source de dégrèvement fiscal. Alors, s'il te plait, cher lecteur, arrête d'insinuer que les maisons du village se comptent sur les doigts des deux mains. Je sais bien que tu ne me l'as pas dit, mais je t'entends le penser très fort.

    Et puis, il y a le grand chêne centenaire, qui déploie son houppier majestueux. C'est un chêne sacré. D'ailleurs, aujourd'hui, toute la population des villages alentour se rassemble à son pied. C'est le dimanche qui suit celui de la Pentecôte, ou en d'autres termes le dimanche de la Trinité, et c'est dans des jours comme celui-ci qu'on se rend compte qu'il ne suffit pas à un bourg d'être grand (relativement), comme la Broque, ou riche (relativement) comme Framont, pour être une terre sacrée.

    Salm n'a peut être que quelques maisons, mais c'est de là, et de nulle part ailleurs, que part le pèlerinage à Notre Dame de la Maix.

    Voici donc tout le pays qui se rassemble au pied du chêne : voici les mineurs de Framont, voici les notables de Senones, et là, plus loin, les forestiers de partout, de Chatas, du Saulcy, de Luvigny, de Moussey, et j'en passe. Il y a même des gens extérieurs au pays, car le pèlerinage de la Maix, ce n'est pas chose banale.

    Depuis Pâques déjà, nous sommes dans la moitié heureuse de l'année, celle des arbres verts, des fleurs, du soleil, des récoltes qui poussent.

    Depuis le 23 avril fête de saint Georges, on sait qu'on est dans la moitié de l'année marquée par le travail, la production et la propriété privée. On a payé, à la Saint Georges, son bail au propriétaire terrien. On respecte les limites des propriétés, on prend garde à ne pas piétiner les champs des voisins et l'on attend d'eux la réciproque.

    Il y a peu de jours, aux Rogations, le curé a béni les champs, et, puisqu'on est dans la moitié de l'année où la propriété est privée, chacun a veillé à ce que son champ ne reçoive pas un coup de goupillon de moins que le champ du voisin. La surveillance du curé aux Rogations est indispensable. Celui-ci, un moine, a ses pensées à Senones et ne s'intéresse à sa paroisse que d'assez loin. Il n'en touche pas la dîme, qui va à l'abbé. Mal nourri à la portion congrue, il estime parfois devoir un service paroissial proportionnel à son "salaire". La plupart du temps, les paroissiens s'en accommodent mais, le jour des Rogations, pas question de laisser Monsieur le Curé jouer les syndicalistes. C'est le seul jour de l'année où il fait un travail vraiment utile en guidant les prières et processions de la communauté pour de bonnes récoltes. Alors, il a intérêt à bosser !

    Donc, chacun ayant veillé à ce qu'il ne manque pas une bénédiction sur son champ, on compte sur une bonne récolte. Enfin, plutôt, comme on est réaliste et qu'on ne demande pas l'impossible à Dieu, on compte surtout sur de bonnes prévisions météo : le temps qu'il fait à tel moment des Rogations est réputé annoncer celui qu'il fera pendant telle période de l'année.

    Dans la moitié de l'année ouverte par Saint Georges, il n'est pas question de religion triste, de repentir, de cendres, de guenilles, de retour sur soi-même. C'est la fête. Il n'y a rien d'extraordinairement mystique à en dire, sinon que tout est propre et gai. Les maisons ont été nettoyées en grand, et même les tas de fumiers jouent les invisibles, camouflés qu'ils sont sous des branchages.

    Feuilles et branches sont les vedettes du jour ; elles l'étaient déjà à la fête du Mai, et elles continueront de l'être pour la Fête Dieu (deuxième dimanche après Pentecôte). Les bouquets verts sont de toutes tailles. Il y a les petits, portatifs, que chacun tient à la main. Et il y a ceux que l'on a arrangés au bord de la route, véritables petites chapelles temporaires, garnis de rubans multicolores comme ceux qu'on porte aux mariages, et parfois même occupés par un bébé, ce qui fait de la fête une véritable Noël de printemps. Le cortège est joyeux, excité, criard pour les plus jeunes ; on tire des pétards, et les adolescents ne se cachent guère pour s'intéresser au sexe opposé.

    Le seul qui n'est pas très content, c'est le curé. Il trouve que les pèlerins manquent de piété, et il n'a pas forcément tort.

    Voici la joyeuse bande qui arrive à l'ermitage. C'est un petit ensemble de trois bâtiments, dont la chapelle et l'habitation de frère Claude Florentin, l'ermite. C'est le plus gai de tous, car aujourd'hui, il va augmenter ses maigres revenus. Heureux propriétaire de trente et une bouteilles de verre et de quarante six gobelets, l'homme de Dieu, aujourd'hui, est d'abord le tenancier de la buvette. Arrivés à l'avance, musiciens et montreurs d'ours occupent déjà le terrain, et comme chaque année, ce n'est pas une mince affaire, pour le curé, que de faire entrer ses paroissiens dans l'église. Bien sur, à l'époque, le paroissien de base est obéissant, mais il est clair que chacun anticipe de toute la force de son âme le Ite missa est qui le délivrera de la corvée du jour et lui ouvrira les portes dorées de la fête.

    Pour ce qui est du thème du sermon, on le connaît à l'avance.

    Comme chaque année, le curé raconte comment, autrefois, il y avait un village à l'emplacement du lac. Un matin, le diable vint, déguisé en musicien. Chacun se mit à danser, sans prendre garde à l'heure de la messe. En vain la cloche de l'église sonna-t-elle un coup, puis deux, puis trois : les villageois n'avaient d'oreilles que pour le musicien. Alors, Dieu se fâcha. Le sol se déroba sous les pas des danseurs, engloutissant le village et ses habitants. Depuis, il y a un lac à la place. Au fond, les habitants sont condamnés à danser jusqu'au jour du jugement dernier, cependant que la cloche de leur église, engloutie avec le reste du village, continue de sonner sans qu'ils l'entendent.

    Ite missa est ! Enfin !

    Ayant assisté à la messe, les pèlerins n'ont pas à craindre le sort des malheureux condamnés à danser là en dessous. Leur esprit n'en est que plus libre pour s'adonner à ce qui fait le fond de la fête de la Trinité : bon repas, danse, pétards, drague, et toutes les attractions de ce qui est en fait une fête foraine. De temps en temps, les plus curieux se baissent pour coller leur oreille au sol, et là les supputations vont bon train. Est-ce que l'on entend le violon du musicien diabolique ? Est-ce que l'on entend la cloche de l'Eglise ? Certains vous jurent que oui.

    Même les Hapolahs, les austères protestants du Ban de la Roche voisin, s'amusent ce jour là. Bien sur, ils n'appellent pas cela la Trinité, ils appellent cela le retour de la Pentecôte. Car, comme toutes les fêtes de la belle saison dans la région, la Pentecôte dure le Dimanche, le lundi et le Dimanche d'après, que l'on appelle le retour de la fête. Le programme est le même qu'en terre catholique : après le culte, inévitable le Dimanche, place à la fête !

    Le cœur de l'été sera occupé par le travail, et les fêtes s'y feront discrètes. D'une façon générale, le partage binaire de l'année, si caractéristique de la région, s'intéresse aux équinoxes (printemps et automne) plus qu'aux solstices (hiver et été). Les fêtes de la saint Jean (solstice d'été) sont discrètes et même souvent inexistantes.

    Puis, selon l'habituel rythme binaire qui tend à donner à chaque fête son pendant à l'autre bout de l'année, la fin des récoltes verra des réjouissances peu différentes de celles du printemps.

    Elles n'ont pas de nom général, ont dit : "la fête du village" ou "la fête patronale" (fête de Rothau au Ban de la Roche protestant ; dates diverses dans les villages catholiques). Elles constituent une sorte de Pentecôte-Trinité d'automne. Même calendrier : Dimanche, lundi et Dimanche suivant. Même programme : messe ou culte (le Dimanche, on ne voit guère le moyen d'y échapper), puis les choses sérieuses : repas et fête foraine.

    La fête de la "Pentecôte d'automne" est, comme on l'a vu, variable à l'intérieur d'une plage de temps correspondant à l’après-récolte et à l'avant-frimas. On est autour de la saint Michel (29 septembre) qui ouvre la période d'automne et d'hiver. Comme son symétrique Saint Georges, Saint Michel est un saint guerrier, assez autoritaire, qui veille à ce qu'on n'empiète pas sur sa moitié d'année. A la saint Michel (ou à la fête du village qui lui correspond approximativement) , on finit de payer le berger communal ; les bêtes sont à l'étable ; la récolte doit être rentrée ; la propriété privée est abolie pour six mois, et chacun le fait savoir en poussant sa brouette de fumier selon le trajet le plus pratique, sans se soucier des limites des champs ; les récoltes sont rentrées, alors, on est prié de ne pas jouer les mauvais coucheurs et de ne pas exiger, de ses voisins, des détours qui n'ont aucune raison d'être.

    Comme on vient de le voir, le changement de régime, assez autoritaire, a lieu à une date qui varie selon les villages à l'intérieur d'une plage de temps assez large. C'est donc le moment d'affirmer son identité en choisissant sa date dans les limites du possible. Les anabaptistes du Salm s'alignent sur la fête de Rothau et non sur celle des villages catholiques où ils habitent. Ce n'est pas neutre.

    Parmi les éléments traditionnels de la fête d'automne, il ne faut pas oublier les bagarres entre jeunes gens de différents villages, qui sont une partie obligée de la fête et revêtent quasiment un caractère rituel.

    Après la saint Michel, viennent les fêtes de l'hiver, plus graves et plus mystiques.




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