• Contes et légendes de Lorraine - L’aqueduc de Jouy-aux-Arches - Histoire du Légionnaire Mettius

    L’aqueduc de Jouy-aux-Arches

     

    A quelques lieues de Metz, on peut admirer à Jouy-aux-Arches, sur la rive droite de la Moselle, entre Ars et Ancy sur la rive gauche, les ruines imposantes d’un aqueduc romain. Cet édifice, construit vraisemblablement au deuxième siècle ou au troisième siècle de notre ère, était destiné à amener à Metz l’eau des sources de Gorze. A cet endroit, l’aqueduc enjambait le cours de la Moselle. Malheureusement, il n’en reste plus aujourd’hui que quelques arches délabrées de chaque côté de la rivière. Mais l’aspect de ces ruines majestueuses suffit à nous donner une idée de l’édifice complet. Celui-ci n’a pas pu résister aux coups répétés des invasions barbares.

    Pourtant, l’histoire n’a pas retenu le nom du bâtisseur de cet aqueduc, l’époque exacte à laquelle celui-ci fut détruit nous est inconnue.

    Voilà peut-être pourquoi l’imagination du peuple, vivement impressionnée par ces vieilles pierres, leur a prêté tout un passé de légendes et les a revêtues des draperies éclatantes de la fable. En voici deux :

     



    Histoire du Légionnaire Mettius

    En ce temps-là, Metz, qui s’appelait Divodurum, était la principale ville de l’importante peuplade gauloise des Médiomatriques. Puissante cité, après avoir combattu les Romains, elle était devenue leur alliée fidèle. Peu à peu, les habitants de la ville avaient imité les coutumes et les usages de leurs anciens adversaires. En quelques années, Metz, à l’instar de Rome, s’était couverte d’édifices remarquables, temples, portiques, thermes, écoles où l’on enseignait le latin, et même d’un amphithéâtre où l’on donnait des jeux de cirque.

    Les légions romaines qui allaient monter la garde sur la frontière du Rhin passaient régulièrement par la ville. Beaucoup d’entre elles s’y arrêtaient et y prenaient leurs quartiers de repos.

    Or, le jeune légionnaire Mettius avait fait la connaissance de la belle Nasidia, fille d’un riche propriétaire de la ville. Les jeunes gens s’étaient tout de suite aimés et ils se rencotnraient dans une villa, située en bordure de la Moselle, en face du village de Gaudiacum (nom que portait alors Jouy-aux-Arches). Au reste, les alentours de Metz étaient à cette époque égayés de nombreuses maisons de campagne, où les nobles de la ville aimaient à se reposer ou à se divertir.

    Un soir, pour rejoindre sa belle, le légionnaire Mettius prit le chemin de Gaudiacum, où il espérait trouver une barque pour franchir la rivière.

    Mais on était au début du printemps et la Moselle, fortement grossie par la fonte des neiges, débordait dans la plaine, où ses flots jaunes et tumultueux charriaient des débris de toutes sortes.

    Aussi, en arrivant à Gaudiacum, Mettius ne parvint-il pas à découvrir, tout au long de la rive inondée, la plus petite embarcation qui lui eût permis d’aller retrouver sa fiancée. Les unes avaient été emportées par les eaux en furies ; les autres avaient té prudemment mises à sec et personne au village ne voulut lui prêter un bateau.

    Remâchant sa déception, Mettius s’en allait tristement sur le bord de la rivière. De l’autre côté, Nasidia était là, qui lui faisait de longs signes d’amitié. Metius songea un instant à traverser la Moselle à la nage. Mais l’entreprise li parut vraiment téméraire, car le courant était trop violent, et agité de tourbillons auxquels le meilleur nageur n’aurait pu échapper.

    Il en était là de ses réflexions amères et déjà il s’apprêtait à rentrer, quand un inconnu, d’aspect sympathique, l’accosta :

    -Salut à toi, noble Mettius !

    - Salut à toi étranger, répondit Mettius, un peu surpris.

    - Que faut-il pour ton service

    - Par Hercule et tous les dieux, aurais-tu une barque à me prêter ?

    - Non. Je n’ai pas de barque, répondit l’inconnu, mais je puis faire beaucoup mieux pour toi. Je puis te construire, en une seule nuit, un vaste pont au-dessus de la Moselle.

    Mettius le regarda ahuri, se demandant si l’étranger ne se moquait pas de lui.

    - Qui es-tu donc, toi qui me tiens un tel langage ? lui demande-t-il.

    - Je suis Satan, le maître des dieux.

    - Je ne connais pas de dieu de ce nom-là, répliqua Mettius Ma mère m’a appris que Jupiter était le père des dieux. Je le crains et l’honore.

    - Mon pouvoir est bien plus grand, poursuivit Satan. En veux-tu la preuve ?... Si tu le désires, je bâtis pour toi un pont sur cette rivière au cours de cette nuit. Pour prix, je te demande seulement ton âme.

    Comme tous les Romains, Mettius était superstitieux. Cette rencontre avec un individu qui se prétendait un dieu l’impressionnait.

    - Soit, dit-il, après un court moment d’hésitation. J’accepte.

    La nuit était tombée sur la campagne. Mettius fit un dernier signe à sa fiancée, et, retirant son manteau, s’étendit sur le sol où il ne tarda guère à s’endormir. Mais son sommeil fut lourd, peuplé de cauchemars affreux.

    Pendant ce temps, Satan avait rassemblé en ces lieux toute une armée de démons. Les uns apportaient d’énormes quartiers de rochers ; les autres maniaient la truelle avec une prodigieuse rapidité, cimentaient les matériaux et tout ce travail, qui eût demandé des années d’efforts, se faisait à une cadence extraordinaire.

    Déjà, les hautes piles verticales s’élevaient au milieu de la rivière. Déjà, on voyait apparaître la voussure des arches. Et Satan, en personne, dirigeait cette multitude d’ouvrier, donnant des ordres brefs à celui-ci, réprimandant celui-là, passant de l’un à l’autre, partout présent, infatigable.

    Mais tous ces diablotins au travail faisaient un tel vacarme que Mettius se réveilla. Il était environ trois heures du matin. Sa surprise fut immense quand il vit le chantier bourdonnant, les puissantes maçonneries s’élevant au-dessus des eaux. Il se frotta les yeux, se croyant encore la victime d’un rêve absurde.

    Mais non, Mettius ne rêvait pas.

    Le pont était bien là, aux trois quarts terminé. Des milliers d’ouvriers, comme d’infatigables fourmis, s’affairaient autour.

    Alors, Mettius prit peur. Les termes de son marché lui revinrent à l’esprit. Il comprit toute la puissance de celui à qui il avait vendu son âme.

    - Mettius allait donc être obligé d’abandonner son âme à un maître aussi puisant, aussi redoutable ?

    Il se leva, torturé par une subite angoisse.

    D’un pas nerveux, il se mit à arpenter la rive, ne sachant quel parti prendre.

    Mais en marchant, il dérangea un cop qui dormait sur la branche d’un buisson. Surpris, l’oiseau se réveilla et croyant que c’était le matin, il lança un joyeux : cocorico !... Aussitôt, tous les coqs de Haudiacum et des environs, réveillés à leur tour, lui répondirent l’un après l’autre, devançant l’aurore d’une bonne heure au moins.

    Alors Satan tendit l’oreille. Trompé par ce chant qui marquait la fin de son empire, il crut lui aussi que l’aube pointait à l’horizon. Il vit son ouvrage inachevé et entra dans une épouvantable fureur.

    Ivre de rage, il bondit sur l’œuvre en construction donna dans les piles d’effroyables coups de pieds ; saisissant les arches à bras le corps, il les ébranla de toute sa force herculéenne.

    Dans un fracas indescriptible, les solides maçonneries s’effondrèrent et tombèrent par pans entiers dans la rivière, dont les eaux, sous la masse formidable, giclèrent à des hauteurs impressionnantes et refluèrent en gros bouillons jusqu’à Metz.

    Il ne resta du superbe ouvrage que quelques arches de part et d’autre de la Moselle, que, dans sa hâte de s’enfuir, le diable n’eut pas le temps de détruire.

    Ce sont ces arches qui existent encore aujourd’hui.


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