• LES ECRINS - PUY SAINT VINCENT - Contes et légendes - Conte de Grand'mère

    Et tu veux que je te raconte encore quelque chose ? Une histoire pour François ? Eh bien, voilà une belle histoire.
    Il y avait autrefois à Saint-Pierre un grand couvent de moines Augustins. Les seigneurs de Miolans leur avaient donné des prés, des vignes, des champs, et les bons Pères avaient des fermiers dans tous les villages, et beaucoup de bêtes dans leurs écuries.

     

    Tous vivaient bien tranquilles, chacun à son affaire; les vaches et les veaux pâturaient dans les prairies, les cultivateurs travaillaient dans les champs, les Augustins chantaient la messe et les vêpres, et les autres offices, et tout le monde était bien content.
    Mais, là-haut, de l'autre côté du Col du Frêne, il y avait les BAUJUS; et tu connais le proverbe ...

     

    - Oui, oui, grand'mère, je le connais

    Bauju
    Traître et goulu,
    Voleur, fripon
    Voilà ton nom !

     

    - Ah ! c'est bien. Mais il ne faut pas le leur dire ... et voilà donc qu'un hiver, à Sainte-Reine et à Ecole, ils avaient perdu beaucoup de leurs bestiaux d'une sorte de peste, qui avait sévi dans leur canton. Comme ils savaient que les Augustins avaient des vaches et des génisses, ils descendirent pour les voler. Et ils pillèrent tout le bétail, et même les récoltes, du blé, du vin, tout ce qu'ils purent trouver dans les granges des Pères, chez Garnier, à la Plantaz, à la Noiriat. Enfin quelqu'un courut au couvent donner l'alerte. Alors, l'Abbé appela un de ses moines et lui commanda de suivre ces pillards et de leur reprendre le butin, pour le ramener à l'abbaye.

    Alors, le bon moine, sans manquer au devoir de l'obéissance, demande au Père Abbé comment il devra s'y prendre. Et l'Abbé lui répond : "Dieu vous conduise, mon fils !"
    Aussitôt, ce moine, parfaitement obéissant, demande la bénédiction de l'Abbé, retrousse sa tunique et se met vite en route par le chemin sur le Pont. IL rencontre les Baujus pillards au tournant vers Jérusalem et les aborde poliment :
    - Bonjour, Messieurs, quelle belle journée. Où allez-vous de ce pas ?
    - Eh bien, Père, nous rentrons chez nous, en Bauges.
    - Eh ! vous avez de belles vaches ! Il me semble que je les connais ! Ah ! mes enfants, qu'avez-vous fait ? Vous avez gravement offensé le Bon Dieu ! Il faut bien vite Lui demander pardon et rendre toutes ces bêtes au monastère.
    Et le bon père commence à leur faire un sermon sur le septième commandement, et avec des "vobiscum", et avec des "oremus" et des "pro nobis" ... Tant et si bien que les Baujus se mettent à crier et à se moquer de lui. L'un le pousse, l'autre le repousse, celui-ci lui enlève son bonnet, celui-là son scapulaire; ils le jettent par terre, et lui arrachent ses souliers, ses bas, sa tunique. Le pauvre moine supportait tout cela patiemment, priant Dieu pour ses ennemis.
    Mais quand ils viennent à vouloir lui enlever sa chemise, alors l'homme de Dieu se sent frémir. Il se relève, il s'arrache de leurs mains, et, rempli de l'esprit divin, il se jette impétueusement sur une génisse et lui détache une jambe avec l'épaule, puis, brandissant cette massue, se rue sur les voleurs, les renverse tous par terre, assommés sans qu'aucun n'y échappe.

    Après quoi, ayant loué Dieu, il rendit à la génisse sa jambe avec son épaule, qui s'attacha au corprs sans qu'on y connût aucune marque; puis il rassembla tout le troupeau et le conduisit au monastère avec le reste du butin.
    - Oh ! grand'mère, ça, c'est une belle histoire, mais ce n'est pas une histoire vraie.
    - Cependant, mon petit, ce moine si obéissant, qui s'appelait Walchaire, était tellement un saint homme qu'il devint lui-même Père Abbé du monastère.

     


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