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Contes et légendes du Maroc - L’or de Chella
La cité de Chella qui fut fondée par des marchands de Carthage se trouve en haut de la ville de Rabat.
Jadis, au temps où Chella était une ville prospère et florissante, vint un homme qui s’appelait Mohammed-ben-Daoud. Nul se savait qui il était, il était arrivé vêtu de loques sales et trouées et vivait dans une modeste maison.
Mais un jour, il acheta une mule, il acquit des esclaves, se pavanait dans des djellabas de soie brodée d’or.
Il commença à faire des envieux, les gens interrogèrent ses esclaves sans grand résultat. Tout ce qu’ils pouvaient dire c’est qu’il s’enfermait une grande partie de la journée dans une chambre retirée de sa maison d’où sortait des bruits bizarres, comme le soufflet d’une forge, d’un marteau…
Son voisin qui s’appelait Cham-ed-Dohah était d’une nature curieuse. Un jour en plein après-midi, pendant que les esclaves dormaient, il se hissa sur la terrasse de Mohammed. Afin de l’épier.
En se faufilant il arriva à la petite chambre. Prévoyant il avait amené avec lui un instrument afin de pouvoir percer un trou dans la cloison. Il y appliqua son œil, il vit sur un fourneau un récipient bouillonnant qui dégageait une épaisse fumée. Mohammed actionnait du pied un soufflet et jetait de temps en temps dans le récipient une matière grisâtre avec d’autres articles tout en regardant souvent un sablier.
Il versa son contenu dans un moule de fer ; au bout d’un instant, une fois démoulé à grands coups de marteau, il le retourna et Cham vit un morceau de métal jaune brillant et reconnut que c’était un lingot d’or. Etait-il un sorcier ou un alchimiste ?
Il échafauda dans sa tête un plan.
Le lendemain, il se présenta chez Mohammed qui lui offrit l’hospitalité.
Cham lui expliqua que l’ange Gabriel lui était apparu en rêve et lui avait demandé de construire une tombe tapissée d’or pour un pauvre marabout vénérable décédé et pour se faire qu’il devait se faire aider par son voisin qui avait le pouvoir de fabriquer de l’or.
Impassible, Mohammed répondit : « je ne te donnerai rien, ni mon or, ni le secret de le fabriquer, si l’ange Gabriel a quelque chose à me dire, il n’a qu’à venir me trouver lui-même et nous en discuterons ».
Cham quitta la maison de Mohammed très en colère. Il chercha pendant plusieurs jours comment se venger. Il raconta toute l’histoire à son épouse qui lui conseilla d’aller trouver le Sultan et de lui révéler ce qu’il savait.
Une fois informé, le Sultan envoya chez Mohammed des mokhasnis qui le ramenèrent au palais enchaîné.
« Tu connais le secret de la fabrication de l’or, tu vas me le révéler sur le champ ou sinon je te ferai jeter en prison ».
« Seigneur, le secret je ne le connais pas ».
Il l’enferma dans un profond cachot, le temps passait lentement. Un jour on enferma avec lui un pauvre diable.
« J’ai été jeté en prison car je ne voulais pas donner au Sultan ma pauvre maison qu’il convoitait afin d’agrandir les jardins du palais, et toi lui demanda-t-il ».
« Moi j’ai été enfermé car je fabriquais de l’or et il a fait mon malheur ».
« Mais si tu fabriques de l’or tu peux acheter ton geôlier ».
« C’est peut-être vrai, mais je n’ai pas les ingrédients nécessaires ».
« Ecoute, lui dit le pauvre diable, je connais un peu notre gardien, en lui expliquant qu’en te rendant tes outils tu fabriqueras de l’or et que tu lui en donneras un peu, il peut se laisser convaincre ».
« Mes instruments se trouvent dans une chambre que t’indiqueront mes esclaves ; voici la liste de ce qui m’est indispensable ».
Mohammed lista se qu’il lui fallait sur un morceau arraché à sa chemise à l’aide d’un bout de charbon de bois.
Le soir venu, le geôlier amena le four, le soufflet, les vases, le moule, les matières demandées… Durant toute la nuit Mohammed travailla et au matin il y avait un tas de lingots dans la cellule. Il demanda à Cham de négocier leurs libérations auprès du geôlier.
Les heures passèrent sans le retour de Cham ; soudain le geôlier réapparut accompagné des mokhasnis, ils se saisirent de Mohammed et il se retrouva de nouveau en face du Sultan.
Dans la pièce il reconnut Cham qui avait troqué ses vieux vêtements par de somptueux habits.
Le Sultan d’excellente humeur lui expliqua qu’il lui avait envoyé son grand vizir déguisé en meskine afin de connaître son secret.
Il lui dit : « … Tu resteras désormais enfermé dans ta prison ; je veux que tu éprouves les effets de ma bonté : dans ta prison on te laissera ce qu’il te faut pour fabriquer de l’or ; tu en fabriqueras tant que tu voudrais et jusqu’à ce que ton cœur soit rassasié… J’oubliais seulement de te dire qu’on ne te donnera rien à manger, mais l’or n’est-il pas le plus précieux des biens terrestres ? »
Tous se mirent à rire.
Dans sa cellule Mohammed pensa : « l’or a fait mon malheur, je ne veux pas être seul à en pâtir ».
Il déchira sa chemise en petits chiffons et inscrivit sur chaque morceau la recette de la transformation des métaux en or, puis il les envoya dehors par la seule ouverture de son cachot.
Le lendemain toute la ville savait comment changer le métal en or. Dans toutes les maisons les fours ronflaient, les lingots s’empilaient et tout le monde était riche.
Dans Chella il n’y avait plus de mendiants, ni de pauvres gens, les champs n’étaient plus cultivés, les bateaux pourrissaient dans le port… Les habitants se promenaient habillés comme des princes.
Bientôt les prix commencèrent à augmenter, ceux fut la disette, il n’y avait plus de pauvres. La fille du Sultan ayant voulu se procurer un bol de blé, offrit son propre poids en or, sans pouvoir obtenir le grain convoité. On en vint à essayer de se nourrir de rubis et de diamants pilés. Les habitants de la ville commencèrent à périr.
Un jour un vieillard porteur d’eau nommé Habib et qui venait de Fez croisa le chemin du Sultan ; il lui expliqua qu’il avait travaillé pour ses aïeuls.
Le Sultan lui proposa de l’aider, mais Habib lui expliqua qu’il n’avait pas besoin de ses bienfaits car il était très riche.
Il emmena le Sultan à Chella ; dans une grotte obscure il lui montra toutes ses richesses amassées.
« A qui son ces richesses » lui demanda le Sultan.
« A moi, lorsque je venais porter de l’eau aux habitants ils me rétribuaient avec des plats et objets en or ».
Le Sultan réfléchit un instant, puis tirant son sabre, il lui coupa la tête.
« Ces biens ne sauraient appartenir qu’à moi » dit le Sultan.
A la nuit tombée, il sortit de la grotte emportant dans une sacoche toutes les richesses qu’il put.
Il pensait à toutes les choses qu’il pourrait faire avec tout cet or ; mais au moment de traverser une rivière, son pied glissa ; sa sacoche lourdement chargée l’entraîna au fond et ce ne fut que longtemps après que son cadavre fut repêché.
Ainsi l’or de Chella fit-il le malheur de tous ceux qui l’avaient possédé.
Moralité : l’or fait le malheur des humains qui le convoitent.
Tags : qu’il, mohammed, sultan, l’or, cham
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