• Lu-Lung est une toute petite cité, située au pied d'une très haute montagne, dans la Chine lointaine. La ville est tellement petite que tout le monde s'y connaît. Les maisons sont tellement proches les unes des autres, qu'en hiver, lorsqu'il gèle à pierre fendre, on a réellement l'impression qu'elles se protègent du froid les unes les autres.

     

    Dans la ville de Lu-Lung vit depuis très très longtemps une pauvre veuve. La femme a un fils. Un garçon superbe qu'elle a appelé Wang, le nom que portait déjà son grand-père. Dans la ville de Lu-Lung, personne n'est aussi fort ni aussi courageux que Wang. Sans rien en dire, toutes les femmes envient la pauvre veuve d'avoir un fils aussi fort et aussi courageux.

     

    Wang et sa mère mènent une vie paisiblement heureuse si ce n'est la présence dans la maison d'à côté de l'usurier Yu. Ils sont constamment ennuyés par lui. Le vieil homme est malade de jalousie devant la force et la jeunesse de Wang et il ne rate aucune occasion pour tourmenter le jeune homme et sa mère. Sans cesse, il leur fait des remarques désobligeantes. Bien sûr, c'est de la méchanceté gratuite mais au fil des jours, les remarques commencent à peser sur Wang et sa mère.

     

    Un soir alors que Wang est assis dans le jardin devant la maisonnette, Yu demande à la veuve :

    -"Comment se fait-il que ton fils vive toujours chez toi ? Il me semblait que les jeunes de son âge étaient mariés depuis bien longtemps. Sans doute, les jeunes filles de Lu-Lung ne sont pas assez bien pour lui et il attend une princesse…"

     

    La veuve très digne le toise avant de lui répondre :

     

    - "Après tout, pourquoi pas ? Ton idée n'est pas si bête en somme. Wang est le jeune homme le plus beau et le plus courageux de toute la région. Une princesse ferait certainement une bonne affaire en l'épousant! "

     

    L'usurier se met à rire et dit :

     

    - "Dans ce cas, il risque d'attendre très longtemps. Dans la région, il n'y a pas de princesse!" mais fort en colère et dépité, il rentre chez lui en claquant la porte de son logis.
    La veuve se demande bien pourquoi un vieil homme peut être encore aussi méchant. S'il était plus gentil, il serait sans aucun doute plus heureux et tout le monde l'aimerait… Elle regarde son fils avec des yeux emplis de tendresse et lui dit :

     

    - "C'est vrai dans le fond ! Je suis certaine qu'une princesse serait très heureuse avec toi! "

    Wang sourit :

     

    - "Le voisin a raison : il n'y a pas de princesse dans la région. Et, puis, si j'en trouvais une, comment pourrions-nous l'accueillir dans cette petite maison?"

     

    Wang se lève et prend gentiment sa maman par l'épaule.

     

    -"Viens", dit-il, "Rentrons. Il est inutile de rêver. Jouons plutôt une part de dominos."

    Les années passent. Rien de bien important n'arrive dans la vie de Wang et de sa mère. Le garçon devient de plus en plus beau et de plus en plus fort, mais ne parle toujours pas de se marier. Sa mère est hantée par les paroles du vieil usurier et ne peut que soupirer. Il lui semble parfois que son fils attend vraiment une princesse qui accepte de l'épouser...

    Un jour, alors que Wang est en train d'étudier dans sa chambre, il entend un bruit inattendu. Il regarde vers la statuette de Bouddha qui trône dans la pièce et aussitôt, la porte s'ouvre et un délicieux, un enivrant, un subtil parfum de glycine envahit les lieux. Dans l'embrasure de la porte, se tient une très jeune femme. Elle porte un kimono de couleur mauve de la même couleur que ses yeux et que les rubans qui nouent ses longs cheveux noirs. A son cou, brille un collier de perles éclatantes et, sur ses mains très blanches, scintillent des saphirs et des diamants. Wang n'en croit pas ses yeux. Il pense qu'il rêve. Il doit être tombé endormi alors qu'il étudiait. Son imagination surexcitée lui joue un tour…

     

    La jeune femme s'avance vers lui et dit d'une voix cristalline :

     

    - "Non, Wang, tu ne rêves pas. Je suis la princesse de la Forêt des Glycines et je suis venue jusqu'ici pour te dire que je veux t'épouser."

     

    Gêné, le jeune homme ne sait pas quoi répondre. Il sent les murs de sa chambre qui se rétrécissent. Lui devient minuscule face à tant de beauté. Il regarde désespérément son mobilier sans valeur. Il ne possède même pas le moindre cadeau à offrir à la princesse en signe de bienvenue... La seule pièce de valeur qui lui appartient est le jeu de dominos en ivoire. C'est là sa seule richesse. Il le dépose aux pieds de la jolie visiteuse qui se met à battre des mains de joie en ouvrant la petite boîte laquée.

     

    "Tu aimes donc jouer aux dominos ?", demande-t-elle toute à la fois ravie et surprise et tout aussitôt, elle dispose les pièces sur la petite table et invite Wang à venir s'asseoir auprès d'elle pour disputer une partie.

     

    Le jeune homme, bon joueur, a bien du mal à se concentrer. Son regard est sans cesse attiré par sa trop belle partenaire!

     

    -"J'ai gagné! ", s'exclame celle-ci peu après en arborant un très large sourire. "Je dois reconnaître que je n'ai jamais affronté un aussi redoutable adversaire. Lorsque nous serons mariés, nous nous mesurerons chaque jour aux dominos! "

     

    - "Donc... ", balbutie Wang avec beaucoup d'efforts, "donc, vous parliez sérieusement lorsque vous disiez que vous vouliez m'épouser? "

     

    La princesse acquiesce en souriant et Wang ajoute d'un air désespéré :

    -"Mais où irons-nous habiter? Je n'ai pas d'argent pour acheter une maison! "

     

    La jeune femme claque des doigts et une servante entre et dépose aux pieds de Wang un coffret rempli de pièces en or.

     

    - "Tu devras attendre la prochaine pleine lune pour construire notre maison", lui dit la princesse. "A ce moment, je reviendrai pour célébrer nos noces. Aujourd'hui, je ne puis m'attarder davantage. "

     

    Wang ne peut détacher ses yeux du coffret et des pièces. Il ne voit pas la princesse suivie de sa servante qui quitte la pièce.

     

    Je dois avoir rêvé pense Wang en regardant autour de lui. Non, le coffret contenant les pièces d'or sont toujours devant lui et sa boîte de dominos a disparu.

     

    - "Maman!", crie Wang "Je vais épouser une vraie princesse! "

     

    Le jeune homme raconte à sa mère ce qui lui est arrivé.

    - "Mais tu as là un véritable trésor! " dit la veuve en contemplant le coffret. "Jamais je n'ai vu autant d'argent de ma vie. Tu pourras construire une splendide maison. Mais surtout obéit à la princesse : il ne faut pas commencer la maison avant la prochaine pleine lune ! "

     

    Wang est jeune. Il ne sait pas attendre et malgré les bons conseils de sa mère, il se rend en ville dès le lendemain matin et y prend rendez-vous avec le charpentier et le maçon en vue de construire une très belle demeure pour lui-même et pour sa future épouse.

     

    - "J'ai entendu raconter que ton fils va épouser une princesse", marmonne un soir l'usurier à la veuve. "Et où l'a-t-il donc trouvée? "

     

    Mais la veuve, pinçant les lèvres, ne répond pas.

     

    - "Soit, si tu ne veux rien dire, garde-le pour toi", jette Yu, dévoré par la curiosité. "Je me disais bien qu'il y avait quelque chose de louche dans tout cela. C'est comme pour cet argent avec lequel il fait construire cette grande maison. J'ai du mal à croire qu'il l'a gagné honnêtement! "

     

    - "Crois tout ce que tu veux", répond la mère de Wang.

     

    Et, sans plus regarder le vieil homme, elle rentre chez elle.

     

    Le temps passa encore. La construction de la nouvelle maison progresse. Un jour, un jeune voyageur porteur des couleurs impériales arriva en ville.

     

    - "Mon nom est Yang", dit-il après avoir été salué Wang et sa mère. "J'ai appris que tu es un excellent joueur de dominos et je serais heureux de pouvoir me mesurer avec toi."
    Wang accepte l'invitation avec plaisir et se rend plusieurs soirs consécutifs à l'auberge pour jouer aux dominos avec l'étranger. Le cinquième soir, son nouvel ami l'accueille le visage triste :

     

    - "Il me faut m'en aller", dit-il "Comme souvenir, je désire te donner ceci. "

     

    Et le jeune homme tend à Wang une boite en bois de cèdre qui contient une coupe en argent, quelques baguettes en ivoire et une précieuse figurine de jade.

     

    Après le départ de Yang, Wang se sent désemparé. Sa maison est prête et il attend avec impatience l'arrivée de la princesse. Mais le seul nouveau venu dans la ville est un riche seigneur qui, avec sa suite, s'installe à l'auberge que Yang avait précédemment fréquentée.

    Le lendemain matin, Wang est réveillé de bonne heure par des éclats de voix : le noble seigneur a été dévalisé de tout ce qu'il possédait.

     

    - "J'ai vu le chef des voleurs", déclare une des voix.

     

    - "C'est Yang, le commandant de la garde impériale", ajouta une autre.

     

    - "Yang! Je le connais bien! ", renchérit le vieux Yu. "Je l'ai vu très souvent en compagnie de mon voisin Wang, celui qui est subitement devenu si riche."

     

    Peu après, le responsable de l'ordre surgit chez Wang pour y effectuer une perquisition. Et, lorsqu'il découvre le cadeau d'adieu de Yang, le malheureux est immédiatement emprisonné et accusé de complicité.

     

    - "Il est impossible que Yang soit un voleur! ", assure Wang lorsque le juge l'interroge. "Il portait les couleurs de l'empereur."

     

    Le juge se trouve bien embêté et ordonne que Wang soit transféré dans la capitale pour y être jugé.

     

    - "Mais vous, si vous l'avez accusé injustement", dit le juge à Yu, qui avait assisté à l'audience d'un air triomphant, "vous serez emprisonné à votre tour. "

     

    Le vieil usurier, soucieux de ne pas courir un tel risque, se hâte d'entrer en contact avec les quatre soldats chargés d'emmener Wang dans la capitale et, pour une poignée de pièces d'argent, ceux-ci lui promettent de tuer le jeune homme durant le trajet.

     

    La route qui conduit à la capitale traverse les montagnes et les ravins escarpés. Le chemin est long et les gardes auront bien l'occasion de faire disparaître le prisonnier. Au moment où ils s'apprêtent à pousser Wang dans un précipice, un énorme tigre surgit. Effrayés par le félin, deux des hommes reculent et tombent dans le ravin, tandis que les autres, sans demander leur reste, prennent leurs jambes à leur cou et s'enfuient !

     

    Wang est tombé lourdement sur le sol. Son front a heurté un rocher. Il reste là, étendu sans connaissance alors le tigre le saisit par la ceinture et l'emporte dans la forêt.

     

    C'est un parfum de glycines en fleurs qui pénètre dans ses narines, qui réveille Wang. Il ouvre les yeux et se trouve dans l'herbe, face à un magnifique palais de porcelaine, couvert de mauves corolles odorantes.

     

    A l'entrée du palais, se tient la jolie princesse. Mais son regard est dur. Wang veut aller vers elle, mais, d'un seul geste, elle lui fait comprendre de ne pas bouger et d'un ton sévère elle lui dit :

     

    - "Wang, tu ne m'as pas écoutée. Je t'avais demandé d'attendre la prochaine lune avant de construire notre maison. Maintenant, le malheur a fondu sur toi. Tu dois te rendre chez le juge, pour lui prouver ton innocence sinon tu ne pourras plus jamais trouver le repos. Par la suite, tu retourneras ensuite à Lu-Lung afin consoler ta pauvre mère qui est malade de chagrin depuis le jour où les soldats t'ont emmené! "

     

    Le jeune homme est anéanti. C'est vrai, il aurait dû attendre la pleine lune... Mais il était tellement impatient de la revoir et voilà qu'il l'a retrouvée et qu'elle le renvoie !

     

    - "Allons", dit-elle, "avant que tu ne partes, je vais te faire don d'un talisman. "

     

    Elle prend une corde qu'elle noue avec soin à la taille de Wang. Et avec douceur, elle ajoute :

     

    - "Les nœuds que j'ai fait dans cette corde sont magiques. En cas de besoin, il te suffit d'en défaire un et tu seras sauvé. Pars vite, maintenant! "

     

    Wang regarde tristement la princesse, désespéré de devoir la quitter. Dans un profond soupir, il s'en va vers la capitale.

     

    Le sentier qu'il prend monte et descend sans cesse. Plusieurs fois, il s'en faut de peu qu'il ne tombe en butant sur une pierre. Des branches lui fouettent le visage et, bientôt, il se met à pleuvoir. Wang poursuit courageusement sa route. La pensée de la jolie princesse lui donne sans cesse de nouvelles forces. Il a déjà parcouru une bonne partie du chemin, lorsqu'il débouche sur un plateau aride et désolé. La pluie ne tombe plus. Derrière les sombres nuages, il peut même apercevoir le soleil, dont les rayons éclairent sans l'égayer ce triste paysage. Seuls quelques arbres tordus rompent, çà et là, cette lugubre monotonie.

     

    Soudain, un nuage de poussière masque l'horizon. Portant la main au-dessus de ses yeux, Wang scrute le lointain. Très rapidement, le nuage se transforme en une armée de cavaliers armés jusqu'aux dents. Leurs armes scintillent sous le soleil. Ils arrivent à toute vitesse dans sa direction... "Que va-t-il m'arriver, maintenant? ", pense Wang tristement. "N'ai-je pas encore subi assez de malheurs? Ces hommes ont sûrement l'intention de m'attaquer. Lorsqu'ils s'apercevront que je ne porte aucun objet de valeur, ils me tueront probablement par dépit! "

     

    Il n'a plus le temps de s'enfuir et puis, où se serait-il caché? Il n'y a rien que du roc et de la pierre.

     

    Bientôt, les cavaliers sont devant lui. Le chef de la troupe s'approche à quelques mètres et Wang observe craintivement sa silhouette impressionnante, fièrement campée sur sa monture et soudain, il le reconnaît :

     

    - "Yang! ", crie-t-il. "Yang, mon ami, est-ce vraiment toi?"

     

    Il lui tend joyeusement la main pour le saluer. Un large sourire aux lèvres, Yang se pencha vers lui.

     

    - "Tu acceptes donc encore de me parler, Wang?", demande-t-il, tout content. "Tu ne refuses pas de serrer la main à un voleur de mon espèce? "

     

    - "Je n'ai jamais pu croire à un pareil mensonge", répond Wang.

     

    - "Alors, laisse-moi te conter comment tout cela est arrivé", dit Yang en serrant fermement la main du jeune homme en signe d'amitié. "Pendant des années, j'ai vécu, à la cour, en tant que commandant de la garde impériale, au sein d'un monde de faste et d'apparat. Mais aussi dans un monde méprisable, comme je l'ai découvert plus tard car la plupart des membres de la cour n'ont pas gagné leur fortune honnêtement.

     

    Pendant qu'ils parlent, les deux amis se tiennent toujours la main afin de se témoigner leur confiance. Puis, Yang descend de sa monture et tous les deux vont s'asseoir à l'écart. Yang poursuit :

     

    - "La richesse dont jouissent ces riches seigneurs, ils l'ont volée aux pauvres gens. Car ils l'ont obtenue en imposant de très lourdes amendes pour de petits délits et en exigeant d'importants fermages. "

     

    Wang acquiesce. Il connaît bien cette histoire... Depuis de longues années, la population vit opprimée à cause des cruelles mesures adoptées par les grands propriétaires terriens. De nombreux abus de cette espèce ont été commis dans les environs du Lu-Lung. Certains paysans, incapables de payer le fermage, envoient même leurs enfants mendier en ville.

     

    - "C'est pourquoi", poursuit Yang, après avoir fait signe à ses hommes de mettre pied à terre pour se reposer un instant, "j'ai décidé que tout cela devait changer. J'ai résolu de quitter la cour et de devenir l'un de ces pauvres. Mais cela ne suffisait pas. J'ai alors réuni autour de moi un groupe d'hommes qui pensaient comme moi. Ensemble, nous avons commencé à voler les riches, répartissant ensuite notre butin entre de misérables paysans. C'est ainsi que je suis devenu un voleur. "

     

    - "Et donc, ce noble, à Lu-Lung...", commença Wang.

     

    Mais son ami l'interrompt aussitôt :

     

    - "Voler ce noble faisait partie de mon projet. Il méritait bien une petite leçon! Car, dans la région d'où il venait, tous les paysans étaient complètement ruinés, tant les taxes qu'il leur imposait étaient élevées. En plus, les terres qu'il leur avait données en fermage étaient totalement incultes. Et, comble de malheur, le peu qu'elles produisaient venait d'être anéanti par les fortes pluies du printemps sans que lui-même veuille tenir compte de cette situation. Même lorsque les paysans lui demandaient un délai, il ne leur montrait aucune pitié! Tu comprends maintenant, pourquoi je lui ai dérobé ses biens? ", demande Yang.

     

    Wang acquiesce sans mot dire et son compagnon poursuivit :

     

    - "La prochaine fois que j'irai à Lu-Lung, ce sera pour Yu, l'usurier. Il est temps qu'il soit puni pour exiger des intérêts abusifs des malheureux qui, désespérés, ont recours à lui ou bien lui demandent de pouvoir différer un remboursement...Mais, toi-même, raconte-moi ce qui t'a conduit dans cette région inhospitalière."

     

    En soupirant, Wang commence à expliquer son histoire :

     

    - "Un serviteur du noble que tu as dépouillé t'a reconnu lorsque vous êtes entrés dans l'auberge, cette nuit-là. Et, l'usurier Yu, qui nous avait souvent vus ensemble, s'est servi de ce prétexte pour me causer une nouvelle fois des ennuis. Il s'était longtemps demandé comment j'avais bien pu obtenir de l'argent pour construire une maison, puisque ma mère et moi-même sommes pauvres, et il a saisi cette chance de me nuire, m'accusant sournoisement de complicité pour ce vol. "

     

    Wang s'arrête quelques instants pour avaler une gorgée du vin de riz que lui tend Yang. Il a la gorge sèche d'avoir tant marché et parlé. Puis, il enchaîne :

     

    - "Le responsable de l'ordre ne croyait pas que j'avais quelque chose à voir dans cette sombre histoire, mais il s'est vu obligé d'effectuer une perquisition chez moi et il a découvert dans ma maison tes beaux cadeaux. C'était la preuve de ma culpabilité et il m'a conduisit devant le juge. Evidemment, je lui ai raconté la vérité. Ce n'étaient que des présents et que je les avais acceptés sans faire la moindre objection, puisque je croyais que tu venais de la cour impériale. N'osant pas trancher, le juge a décidé de m'envoyer dans la capitale pour y être traduit en justice. Cependant, craignant que la lumière ne soit faite sur toute cette affaire, le vieux Yu a soudoyé les soldats chargés de me conduire en ville. Ces pauvres hommes, qui avaient bien besoin d'un peu d'argent supplémentaire, ont promis à l'usurier de se débarrasser de moi en cours de route. Seul le hasard a permis que je sois sauvé de la mort par un tigre, apparu au moment où ils voulaient me tuer. Et ce tigre m'a conduit auprès de la princesse des glycines, qui m'a ordonné de me rendre en ville pour prouver mon innocence. Voilà tout ! " dit Wang.
    Et il ajoute piteusement :

    - "Je ne l'ai pas écoutée et, maintenant, elle est fâchée contre moi. Ah! J'aurais dû attendre la pleine lune avant de commencer à construire notre maison ... "

    Yang a écouté attentivement le récit de son ami :

     

    - "Si je comprends bien", dit-il, "tu es donc en route pour la capitale, où tu seras jugé par le juge suprême. "

     

    Wang boit encore une gorgée de la bouteille de vin de riz pour se donner du courage.

     

    - "C'est bien cela", opine-t-il en se levant pour se remettre en route.

     

    Il tend la main pour prendre congé de Yang, mais celui-ci secoue la tête.

     

    - "Non, mon cher Wang", refuse-t-il paisiblement. "Je ne te laisserai pas partir comme cela.

    Un ami aussi fidèle que toi a droit à mon aide. Le voyage est encore long jusqu'à la ville et il est semé d'embûches! "

     

    Et c'est ainsi que Wang parcourt le reste du chemin sous la protection des hommes de son ami Yang, qui le suivent à quelque distance.

     

    Peu après, il atteint sans encombre la capitale et va aussitôt se présenter au palais de justice.

     

    - "Je suis Wang et je viens de Lu-Lung", déclare-t-il, une fois mis en présence du juge suprême. "Je suis venu jusqu'à vous pour prouver mon innocence. "

     

    - "Et où sont les soldats qui t'ont conduit ici? ", demanda le juge.

     

    - "Deux d'entre eux ont pris la fuite à la vue d'un tigre", explique Wang. "Et les deux autres sont tombés dans un ravin. "

     

    Comme le juge continue à le regarder d'un air interrogateur, Wang lui raconta toute son histoire.

     

    - "Tu veux me dire que tu es venu sans escorte et de ton plein gré? ", s'exclame le juge, étonné, lorsque Wang termine son récit. "Mais tu aurais pu facilement t'échapper! "
    Wang sourit :

     

    - "Je suis innocent", assura-t-il. "Mais il y a des gens qui affirment le contraire. Ils prétendent que je suis complice d'un vol. Et je n'ai nulle envie de passer pour un malhonnête. C'est pourquoi je suis venu jusqu'à vous. Je veux prouver ma bonne foi! "

     

    Tout en parlant ainsi, Wang joue machinalement avec la corde nouée à sa taille. Sans même s'en apercevoir, il défait un des nœuds.

     

    Au même moment, le juge suprême déclara :

     

    - "Même sans preuve, je suis convaincu de ton innocence, Wang. En effet, seul un homme à la conscience bien tranquille se présente de lui-même devant le juge sans y être contraint par la force. "

     

    Il va ensuite chercher un morceau de parchemin et écrit en termes choisis une déclaration attestant de l'innocence du prévenu.

     

    - "Et voilà! Tout est en ordre, Wang", conclut-il en lui serrant la main. "A partir de cet instant, tu es un homme libre. "

     

    Soulagé, Wang quitte le tribunal. A présent, il doit retourner à Lu-Lung pour rassurer sa mère qui l'attend à la maison. Et ensuite... Il ose à peine y penser, de peur que quelque chose tourne de nouveau mal. Mais il espère de tout son coeur qu'il pourra épouser la très jolie princesse des glycines!

     

    Serrant dans sa main la déclaration du juge, Wang entame le pénible voyage de retour. Plus il approche de sa petite ville natale, plus il marche allègrement. Il lui semble que toute fatigue l'abandonne ! Déjà, il aperçoit les premières maisons de Lu-Lung. Au milieu de celles-ci, se trouve celle de sa mère. A cette pensée, il se met à courir à perdre haleine, tant il a hâte de rentrer chez lui!

    - "Maman! ", crie-t-il en se précipitant dans l'humble demeure. " Je suis là! "

     

    - La pauvre veuve a beaucoup maigri depuis le départ de son cher fils. Ses yeux sombres brillent fiévreusement dans sa figure pâle et ses mains tremblent. Mais, lorsqu'elle voit entrer Wang sain et sauf, un sourire rayonnant apparaît sur son visage aux traits fatigués et elle tend les bras pour accueillir son enfant bien-aimé.

     

    Puis, les premières effusions passées la veuve lui pose mille et une questions, auxquelles Wang répond patiemment, jusqu'à ce que l'heure de se coucher arrive. La mère et le fils se souhaitent tendrement le bonsoir.

     

    Mais, non loin de là, quelqu'un va, au contraire, passer une nuit fort agitée. C'est l'usurier Yu, brutalement tiré de son sommeil par une voix mystérieuse, qui lui dit :

     

    - "Donne-moi les clés de ton coffre. Et pas un mot si tu tiens à la vie! "

     

    Tremblant de tous ses membres, le vieillard remet le trousseau à Yang - car c'est lui qui a pénétré chez l'usurier avec ses hommes -et, quelques instants plus tard, Yu regarde d'un air furieux son coffre- fort complètement vide...

     

    Pendant ce temps, Wang dort paisiblement. Lorsqu'il se réveille, il aperçoit sa mère qui le contemple, un étrange sourire sur les lèvres.

     

    - "Il y a de la visite pour toi", annonce-t-elle.

     

    Au même moment, le jeune homme sent le parfum qu'il attendait tant, le doux parfum de glycine...

     

    Peu de temps après, les noces de Wang et de sa jolie princesse sont célébrées dans l'allégresse.

    Le temps passe.

     

    De cette heureuse union, naissent rapidement deux charmants enfants, qui ont les yeux mauves comme ceux de leur mère. Wang ne est tellement heureux qu'il ne peut imaginer qu'un tel bonheur soit possible Et par soir d'hiver, un triste soir d'hiver, le jeune homme, en revenant de son travail, voit sa femme qui l'attend sur le seuil de leur maison. Elle a revêtu le kimono qu'elle portait lors de leur première rencontre et qu'elle n'avait plus jamais remis depuis.

     

    Wang se doute une tragique certitude que quelque chose d'horrible, de grave, d'irréparable va se produire. Quelque chose d'inévitable qui va bouleverser sa vie...

     

    - "Nul bonheur ne peut jamais durer éternellement", dit la princesse, sans lui laisser le temps de parler. "Ma vie sur la Terre est terminée. Je suis obligée de te quitter, mais je ne t'oublierai pas. "

     

    L'instant d'après, elle disparaît emportant avec elle les enfants.

     

    - "Non! ", hurle Wang.

     

    Mais aucun son ne sort de sa bouche. Les larmes aux yeux, il regarde autour de lui. Et, soudain, par un miracle inexplicable et malgré le froid de l'hiver, partout, des glycines se mettent à fleurir. Les lourdes grappes sont du même mauve que les yeux de sa femme et de ses enfants... Et lorsqu'il pénètre dans sa maison, il découvre avec bonheur que le plafond de la véranda, lui aussi, est paré d'un somptueux manteau odorant!

     

    Wang malgré son immense chagrin sent que sa princesse tant aimée et ses chers enfants ne l'ont pas vraiment quitté, et que leur esprit et leur coeur demeurent à ses côtés. Et, dans chaque corolle, il voit briller leur tendre regard mauve, qui le suit et veille sur lui. Et il en est un peu consolé!

     


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  • Née dans une famille très connue dans la capitale, Dame Wei avait épousé Meng, de la ville de Wuchang, vers la fin du règne de l'Empereur Dali des Tang. Plus tard, Meng et son beau-frère réussirent ensemble dans le concours impérial. Le frère de Dame Wei fut nommé chef de la police de la sous-préfecture de Yangzi et de son côté, Meng, l'époux de Dame Wei, devait aller prendre les fonctions de gouverneur à Langzhou, une des préfectures de la province du Sichuan.

    Les deux postes se trouvant éloignés, Dame Wei dut quitter sa maison et suivre son mari. Comme le Sichuan était inaccessible aux voitures, Dame Wei voyageait à cheval. A l'entrée d'une vallée, le cheval s'emballa et la jeune femme tomba dans un précipice profond de mille mètres. On n'y voyait qu'un trou tout noir. Impossible d'y pénétrer ! Son époux et sa famille ne purent que sangloter, et une cérémonie funèbre eut lieu sur place avant le départ de la famille Meng.

    Dame Wei, elle, atterrit sur une petite terrasse de quelques dizaines de mètres tapissée de feuilles mortes. Le corps intact, elle s'évanouit un instant, puis reprit connaissance. Une journée passa, elle n'avait à manger que de la neige enveloppée dans des feuilles pour tromper sa faim. Soudain, elle vit entre les parois de rocher une fente d'une profondeur insondable et, levant les yeux, elle réalisa qu'elle était comme au fond d'un puits.

    Elle attendait la mort, quand, tout à coup, elle entrevit une lueur qui grandissait. Puis ce furent deux lumières qui s'approchaient peu à peu d'elle. Ah! Les deux yeux d'un Dragon! Terrorisée, elle se colla contre la paroi du précipice.

    Un Dragon long d'environ soixante pieds rampa jusqu'au bord du puits. Pour finir, il sortit d'un coup et s'envola. Quelques secondes plus tard, apparurent deux autres lumières devant elle. Un autre Dragon allait sortir :

    "Tôt ou tard je mourrai dans cette grotte, se dit-elle, alors je préfère être tuée par les Dragons !

    "Profitant de ce que le Dragon sortait du précipice, elle monta d'un coup sur son dos sans qu'il s'en aperçoive. Le Dragon et la femme s'envolèrent vers le ciel.

    N'osant pas regarder le monde au dessous d'elle Dame Wei se laissa entraîner par le Dragon. Au bout d'une demi-journée, elle crut avoir parcouru dix mille lis. Alors, elle ouvrit craintivement les yeux et découvrit mer, rivière, arbres et herbes qui devenaient plus nets à mesure que le Dragon descendait. A une cinquantaine de pieds de la terre, de peur que le Dragon ne plonge dans une rivière, elle se laissa tomber dans des herbes drues. Un instant après, elle reprit conscience.

    Sans nourriture depuis quatre jours, Dame Wei se sentit épuisée, mais elle erra au hasard. Un pêcheur s'affola à la vue d'une femme aussi squelettique. Aux questions qu'elle lui posa, il répondit qu'elle se trouvait à vingt lis de la sous-préfecture de Yangzi. Ce renseignement réjouit tellement Dame Wei qu'elle raconta toute son aventure au pêcheur.

    Pris de pitié pour la jeune femme, celui-ci l'invita à venir boire du thé et du bouillon à bord de son bateau.

    - Le jeune seigneur Wei, qui vient d'être nommé chef de la police de la sous-préfecture, est-il arrivé ? demanda la jeune femme.

    -Non. Je n'en sais rien, répondit le pêcheur.

    - C'est mon frère. Veuillez me conduire là-bas ! Je vous récompenserai bien.

    Le pêcheur l'emmena en bateau à la sous-préfecture et l'accompagna jusqu'à la porte de la résidence de son frère.

    Celui-ci, qui était entré en fonction plusieurs jours auparavant, fut surpris et incrédule quand on lui dit que sa soeur était là.

    - Ma soeur est partie pour le Sichuan avec mon beau-frère, s'exclama-t-il, comment se fait-il qu'elle soit venue ici ?

    Même après avoir appris ce qui s'était passé, il resta plus ou moins convaincu.

    Quand il arriva auprès d'elle, sa soeur se mit à sangloter tout en se lamentant sur son sort malheureux. Frappé par le dépérissement de sa soeur, le nouveau chef l'invita à se reposer chez lui pour recouvrer la santé.

    Toutefois, il demeurait toujours dans l'incertitude. Plusieurs jours passèrent et il reçut en effet une lettre du Sichuan lui annonçant le malheur qui avait frappé sa soeur.

    Tranquilisé, il éprouva une joie mêlée de chagrin et il envoya offrir au pêcheur vingt mille sapèques pour le récompenser. La famille de son mari pleura de joie à la vue de la jeune femme retrouvée.

    Des dizaines d'années plus tard, cette aventure fut racontée par Pei Gang, le cousin de Dame Wei, qui sous le règne de l'Empereur Zhenyuan, fut nommé chef de la police de Gao'an dans la préfecture de Hongzhou.

    Extrait du Taipingguangji
    (Chroniques des années de Paix)



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  • Un jour un coq et un canard allèrent se promener au bord du fleuve. Tout en marchant, le coq se vantait de sa beauté. Il se moquait du canard :

    - Avec tes pattes qui ressemblent à des feuilles d’arbre et ta démarche dandinante, ah ! ridicule !

    Le canard répondait :

    - Tu as une paire d’ailes magnifiques ! Avec elles, tu peux voler et haut !

    Le coq ne voulait pas avouer sa faiblesse. Il prit son élan, afin d’atteindre l’autre rive du fleuve, et de montrer ainsi ses capacités. Au beau milieu du fleuve, il tomba. Comme il ne savait pas nager, il sombra, coula, criant :

    - Au secours !

    Le canard vint à sa rescousse. Alors, il lui dit :

    - C’est grâce à ces vilaines pattes que je t’ai sauvé.

    Le coq resta coi, rougit de honte. Depuis lors, les coqs n’osent plus se vanter, et ont la crête rouge.

     



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  • La famille Meng habitait juste à côté de la famille Djang. Leurs jardins se touchaient et seul un mur de pierre les séparaient. Une année, les Meng plantèrent une courge le long du mur. Les Djang de leur côté plantèrent eux aussi une courge le long du mur. Les plantes grandirent, se développèrent et grimpèrent dans les interstices des pierres pour arriver au sommet où elles se rencontrèrent et ne formèrent plus qu’une seul et même plante.

    La floraison fut magnifique et d’une fleur naquit un fruit exceptionnellement gros. Arrivé à maturité, d’un joli jaune d’or, la famille Meng décida de le cueillir. La famille Djang eut la même idée. Uns querelle s’ensuivit entre ces deux familles qui avaient vécu en bonne intelligence depuis des années. Pour venir à bout de cette querelle, les deux familles décidèrent finalement de la couper en deux parties égales.


    Lorsque la courge fut coupée, quelle ne fut pas la surprise des Meng et des Djang de voir en son cœur une adorable petite fille. Les deux familles décidèrent de l’élever en commun et elle recu le nom de Meng Djang.


    Cette histoire se déroulait pendant le règne de l’empereur Shihuang resté célèbre par son injustice et sa cruauté. Il vivait dans la crainte des Huns des envahisseurs qui ne lui laissaient pas de répit et entraient toujours par le Nord du pays. Las de ces invasions incessantes, l’empereur décida de construire un mur tout le long de la frontière Nord de la Chine. Hélas ! les architectes n’étaient guère brillants et à peine avait-on terminé une partie du mur qu’une autre s’écroulait. Les années passaient et jamais le mur n’était terminé.


    Un jour, un sage du royaume vint trouver l’empereur et après s’être incliné respectueusement devant lui il dit : "Sire, on ne peut construire un mur devant s’étendre sur dix mille lieues de longueur sauf si dans chaque bloc d’une lieue on enferme un homme. L’esprit de l’homme veillera alors sur ce bloc et le mur deviendra indestructible." L’empereur qui ne se souciait guère de son peuple trouva l’idée excellente et suivit l’idée pleine de sagesse de son sujet. Dans chaque région, chaque ville, chaque maison, ce fut l’horreur. Des hommes, des jeunes filles, des garçonnets furent saisis et emmurés vivants.


    Un autre sage du royaume vint trouver l’empereur et après s’être incliné respectueusement devant lui il dit : " Sire, votre façon d’utiliser le peuple pour édifier votre mur terrifie le pays en entier. Il se pourrait que le peuple se révolte avant même que le mur ne soit terminé. Il se fait qu’un homme nommé Wan demeure pas très loin du palais. Wan signifie dix mille. Prenez cet homme car à lui seul il suffira pour les dix mille lieues car wan – dix mille – est son nom. "


    L’empereur se réjouit de cette sage parole et ordonna d’aller chercher Wan et de le conduire au mur. Lorsqu’il l’apprit Wan s’enfuit.


    Il courût fort longtemps et arriva bientôt en vue d’un splendide jardin séparer par un mur de pierres. Au milieu du jardin, il trouva un grand bananier qui devint sa cachette. Un soir alors que la lune était pleine, la belle Meng Djang, devenue une superbe jeune femme, descendit dans le jardin. Wan l’aperçut et en tomba éperdument amoureux. Il descendit de sa cachette et lui demanda de devenir sa femme. Meng Djang accepta et ils se marièrent dès le lendemain.


    Ils étaient en train de fêter joyeusement leurs noces lorsque les soldats de l’empereur firent irruption dans le jardin et s’emparèrent de Wan qu’ils emmenèrent près du mur. Meng Djang resta seule et profondément malheureuse. Son union fut de très courte durée et pourtant elle pensait à lui avec nostalgie et sentait au fond de son cœur un amour sincère, véritable et immense. Désespérée, elle décida de partir à la recherche du corps de son époux. Elle affronta les éléments : la pluie, la neige , les brûlures du soleil. Elle passa à travers les plaines et les montagnes, les fleuves et les lacs et parvint au prix de grandes souffrances et de fatigues au pied du mur. Devant son immensité, elle se demandait comment retrouver les restes de son époux. Elle s’assit sur une pierre et se mit à pleurer. Le mur fut ému par ce chagrin et il s’écroula laissant apparaître les os de Wan.


    L’empereur ne fut pas long à apprendre ce qui était arrivé à son mur et l’histoire de la femme qui avait cherché son époux par monts et par vaux. Il vint en personne voir Meng Djang et lorsqu’il s’aperçût de sa beauté, il lui demanda de devenir l’impératrice. Meng Djang savait qu’elle ne pouvait résister à la volonté de l’empereur. Elle posa diverses conditions pour cette union : une fête des morts de quarante-neuf jours devait être célébrée à la mémoire de son époux, l’empereur et les tous les fonctionnaires devaient prendre part aux funérailles, une terrasse devait être construite sur les rives du fleuve car elle voulait offrir les sacrifices aux morts en souvenir de son époux défunt. L’empereur accéda à ses demandes car il souhaitait vivement qu’elle devienne son épouse.


    Lorsque la terrasse fut prête, Meng Djang monta sur la terrasse et maudit à haute voix l’empereur Shihuang d’avoir été si cruel et si injuste. L’empereur contint sa colère et ne dit rien. Les sujets qui entendaient ses paroles étaient stupéfaits mais au fond d’eux ils trouvaient que les paroles de Meng Djang étaient justes.


    Lorsqu’elle eût terminé sa tirade, Meng Djang plongea du haut de la terrasse dans le fleuve. L’empereur entra dans une colère terrible et il ordonna à ses soldats de repêcher son corps et de le couper en petits morceaux. Lorsque les soldats l’eurent fait, tous les morceaux se transformèrent en poissons d’or et en ceux-ci l’âme de la fidèle Meng Djang continue à vivre pour toujours.

     


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  • Le lettré Chen Bijiao, prénommé aussi Mingyun, était natif de Yan. De famille pauvre, il était secrétaire du commandant en second Jia Wan. Leur bateau était ancré au milieu du lac Dongting quand soudain un poisson Dragon émergea. Jia banda son arc et tira une flèche sur le dos de l'animal. Aussitôt un poisson saisit sa queue pour l'emmener, mais en vain; ils furent capturés ensemble et attachés près du mât où ils attendaient la mort.

    Le poisson Dragon ouvrant et fermant à demi sa gueule semblait appeler au secours. Le lettré eut pitié d'eux et demanda à Jia de les relâcher. Comme il avait sur lui des onguents pour refermer les blessures, à titre d'essai il les appliqua sur sa plaie et rejeta les deux animaux à l'eau. Ils flottèrent un moment à la surface puis plongèrent dans les profondeurs.

    Un an après, retournant vers le nord, comme il traversait à nouveau le lac Dongting, son bateau fit naufrage au cours d'une tempête. Chen flotta toute une nuit soutenu par un grand panier de bambou auquel il avait eu la chance de s'agripper. Il rencontra enfin un tronc d'arbre grâce auquel il put nager jusqu'au rivage.

    Après bien des efforts, il réussit à se hisser sur la berge; il remarqua alors qu'un autre naufragé le suivait. C'était un de ses serviteurs. Il fit un effort pour le tirer de l'eau, mais il constata qu'il était sur le point d'expirer. Navré et ne sachant que faire, il ne put que s'allonger à côté de lui.

    Il voyait des collines qui rivalisaient de verdure et des saules pleureurs qui se balançaient au vent. Mais pas un passant, personne à qui demander son chemin. De l'aube jusqu'au matin, il resta là à se tourmenter.

     

    Tout à coup, il vit qu'un léger mouvement agitait les membres de son serviteur. Tout heureux il le remua et quand il lui eut fait vomir des boisseaux d'eau, celui-ci reprit bientôt connaissance. Ils mirent alors leurs vêtements à sécher au soleil sur les rochers. Vers midi, ils purent les renfiler.

    Leurs ventres creux faisaient entendre des glouglous, et ils étaient torturés par la faim. Ils franchirent rapidement la colline dans l'espoir de trouver un village. A peine étaient-ils arrivés à mi-hauteur qu'ils entendirent des flèches siffler. Lorsqu'ils essayèrent de discerner d'où venaient les traits, ils virent passer deux jeunes filles chevauchant des coursiers qui galopaient aussi vite que des petits pois qui s'échappent de leur gousse.

    Un carré de soie rouge en bandeau sur le front et une plume de faisan plantée là-dessus, deux amazones habillées d'une tunique violette aux manches étroites, serrée à la ceinture d'une bande de brocart vert, passèrent la crête de la colline, l'une bandant son arc, l'autre portant un faucon sur le bras. Elles étaient suivies de quelques dizaines d'autres belles amazones, toutes habillées de même et chassant à travers les brousailles.

    Interdit, le lettré n'osait avancer. Un homme, un palefrenier probablement, arriva au pas de course. Le lettré s'informa auprès de lui de ce qui se passait.

    - C'est la Dame du lac de l'Ouest, fit celui-ci, qui chasse dans la montagne.

    Le lettré lui raconta alors son aventure et lui avoua qu'il avait grand faim. Le valet ouvrit sa sacoche pour lui donner la nourriture qu'il avait prise pour lui-même, tout en disant:
    - Eloignez-vous vite; la moindre offense à son altesse vous conduirait à la mort. Pris de peur, le lettré descendit la pente en courant, et vit vaguement, à travers les arbres touffus, de grands bâtiments avec des pavillons qu'il prit pour un temple.

    Ils s'en approchèrent et arrivèrent au pied d'une enceinte devant laquelle coulait une rivière; un pont de pierre menait à un grand portail de laque rouge entrouvert. Surplombant une petite porte, il vit des pavillons dont les toits touchaient presque les nuages. Il pensa qu'il s'agissait d'un parc ou d'un jardin d'un dignitaire. Il entra tout en écartant les lianes qui obstruaient le chemin.

    Un parfum de fleurs lui arriva par bouffées. Un corridor en zigzag le conduisit dans une autre cour où des dizaines de saules pleureurs se balançaient jusqu'aux avancées des toits peintes en rouge. Des pétales de fleurs s'envolaient tandis que gazouillaient les oiseaux, des feuilles d'orme s'éparpillaient au gré du zéphyr comme une pluie de sapèques. C'était à la fois un charme pour les yeux et un enchantement pour le coeur. Le lettré se croyait hors de ce monde vulgaire.

    Au-delà d'un petit kiosque, une balançoire avec laquelle on eût pu monter jusqu'aux nuages pendait immobile; il lui manquait la présence humaine. Pensant que l'endroit devait être proche de l'appartement des femmes, le lettré n'osa s'aventurer plus loin.

    Tout à coup un bruit de course précipitée et de rires de jeunes filles se firent entendre près de la porte, et il s'enfuit dans les buissons de fleurs avec son serviteur. Puis la rumeur joyeuse se rapprocha de plus en plus et il put distinguer ces paroles:

    - Pas de chance aujourd'hui, fit une des jeunes filles nous revenons quasi bredouilles!

    - Heureusement, s'écria une autre, que notre Princesse a pu abattre une oie sauvage! Sinon c'eût été peine perdue pour nos serviteurs et nos chevaux !

    Bientôt un essaim de belles filles s'avança, escortant une jeune personne vers le kiosque où on la fit asseoir. En costume de chasse avec ses manches serrées aux poignets, elle devait avoir de quatorze à quinze ans, et ses cheveux flottants tout comme sa taille flexible semblaient onduler dans le vent; même la fleur de Qiong (Fleur légendaire de la Chine antique) ne pouvait égaler sa beauté. les servantes lui servirent du thé et allumèrent de l'encens; c'était un tableau éblouissant comme un amas de brocart.

    Peu après, lorsque la jeune fille se fut levée pour descendre les marches du kiosque, l'une des suivantes lui demanda:

     

    - Après la fatigue de la chevauchée, pouvez-vous encore vous exercer à la balançoire?

    Souriante, elle acquiesça. Aussitôt l'une la prit par l'épaule, une autre la soutint par le bras, tandis que d'autres encore relevaient le pan de sa jupe et lui soulevaient les pieds pour l'installer sur la balançoire. Elle empoigna les cordes, se lança de ses pieds effilés sur le trapèze volant telle une hirondelle dans les cieux, puis elle redescendit avec l'aide de ses servantes. D'une seule voix celles-ci s'exclamèrent:

    - Vous avez vraiment l'air d'une fée, Princesse !

    Et elles s'en furent dans un essaim de rires. Le lettré les suivait des yeux, son esprit planant comme dans un rêve. Puis, le silence rétabli, il s'avança jusqu'à la balançoire, perdu dans ses pensées.

    Tout à coup, il découvrit un carré de soie rouge près d'une haie de bambous. Présumant que ce mouchoir avait été égaré par une des jolies filles, il s'empressa de l'enfouir dans sa manche. Puis, comme il y avait dans le kiosque un nécessaire pour exercer la calligraphie, il écrivit ce poème sur le mouchoir:

    Pourrait-on dire que celle qui se livre à ce jeu charmant

    Serait une fée, une immortelle ?

    Il est sûr que c'est une beauté divine qui éparpille ses lotus d'or.

    Voilà qui doit faire naître la jalousie des belles du Palais de la lune, froid et spacieux.

    Ne dirait-on pas qu'elle semble marcher sur les flots en montant à la neuvième voûte des cieux ?

     

    Son quatrain calligraphié, il quitta le kiosque et, tout en récitant le poème, il rebroussa chemin. Mais les portes étaient déjà verrouillées. Très embarrassé, il parcourut en vain tous les pavillons et kiosques lorsque soudain une jeune fille apparut. Surprise, elle demanda:

     

    - Comment avez-vous pu venir jusqu'ici ?

    - Nous nous sommes perdus en chemin, dit le lettré, en la saluant, et nous serions heureux de bénéficier de votre secours.

    - Avez-vous ramassé un carré de soie rouge ?

    -Oui, mais je l'ai déjà barbouillé d'encre! Que faire! dit le lettré en sortant le mouchoir.

    - Que votre cadavre reste sans sépulture, s'écria-t-elle terrifiée. C'est une chose dont la Princesse se sert tous les jours, et maintenant cette soie est toute barbouillée !

    Chen blêmit et implora son aide.

    - Chercher à regarder en cachette les bâtiments du Palais constitue déjà un crime impardonnable! dit-elle. Cependant vos qualités littéraires me poussaient à vous sauver. Mais devant ce nouveau crime commis délibérément, pourrais-je vous tirer d'affaire ?

    Sur ce, elle prit le carré et partit. Au comble de l'anxiété, le lettré attendait la mort, le cou tendu, regrettantde ne pas posséder d'ailes pour s'envoler.

    Un moment après la servante revint le féliciter tout bas:

     

    - Vous aurez la vie sauve. La Princesse a examiné le carré trois ou quatre fois, visiblement sans colère. Vous serez probablement relâché. il vous faut attendre patiemment, mais surtout ne pas vous mettre à grimper sur un arbre ou à escalader un mur. On ne le vous pardonnerait pas.

    A la nuit tombée, ne sachant encore quel sort lui était réservé, Chen sentit que la faim lui creusait terriblement l'estomac. Peu après, la servante revint, une lanterne à la main, suivie d'une autre fille apportant un pot de vin et un panier plein de mets à l'intention du lettré. Celui-ci s'informa de son sort.

    - Profitant d'un moment propice, j'ai demandé à la Princesse d'avoir la bonté de relâcher le lettré du jardin qui risquait de mourir de faim. Après avoir mûrement réfléchi, elle m'a dit : "Où pourrait-il aller dans cette nuit profonde?" C'est alors qu'elle m'a envoyée vous offrir ces provisions. Ce n'est donc pas une mauvaise nouvelle !

    Le lettré se tourmenta toute la nuit, sentant toujours une menace peser sur lui. Au début de la matinée, la servante revint lui apporter de quoi manger. Il la supplia de parler pour lui.

    - Si la Princesse ne s'est prononcée ni pour la mort ni pour l'élargissement, que pourrions-nous dire, nous les servantes ?

    Au coucher du soleil, alors qu'il attendait impatiemment la jeune fille, celle-ci entra en courant le souffle coupé et dit :

    - C'en est fait; des bavardes ont raconté l'affaire à la favorite du roi, laquelle a jeté le carré par terre en se répandant en invectives et en vous traitant de grossier personnage; le malheur vous guette !

    Effrayé à l'extrême, le visage terreux, le lettré se jeta à genoux pour lui demander conseil. Un vacarme se fit entendre. La servante se retira en agitant la main. Munis de cordes, plusieurs hommes entrèrent à grand fracas.

    Une servante du groupe, fixant les prisonniers, s'exclama:

    - Mais, c'est le jeune Chen ! Attendez ! Attendez! continua-t-elle tout en empêchant les hommes aux cordes d'agir, attendez que j'informe son Altesse!

    Elle s'en fut en hâte et revint peu après annoncer:

    - Son altesse appelle le jeune seigneur Chen.

    Celui-ci, tout tremblant, obéit. Ayant franchi des dizaines de portes, on arriva à un Palais dont l'entrée était voilée d'un store orné de pièces de jade aux crochets d'argent. Une jolie femme leva le store et annonça :

     

    - Le seigneur Chen!

    Une belle dame somptueusement parée se tenait devant lui. Il se prosterna en disant :

    - Votre humble sujet solitaire qui habite à dix mille lis d'ici vous supplie de lui faire grâce de la vie !

    La dame s'approcha, le releva tout en lui expliquant :

    - Sans votre aide je n'existerais plus aujourd'hui. Mes servantes sont si stupides qu'elles ont failli offenser mon noble visiteur! C'est impardonnable !

    Elle offrit un grand festin en l'honneur du lettré. On buvait dans des coupes ciselées. Chen ne s'expliquait toujours pas la raison d'une telle réception.

    - J'ai toujours regretté de ne pas avoir pu vous rendre grâce de m'avoir sauvé la vie, fit-elle. Ma fille est honorée de votre inscription sur son mouchoir en témoignage de votre admiration. C'est la destinée qui vous a réunis. Je l'enverrai auprès de vous ce soir.

    Comblé par des circonstances aussi inespérées, le lettré restait abasourdi. Vers le soir une servante vint lui dire :

    - La Princesse a fini de s'apprêter.

    Elle le conduisit alors dans la chambre nuptiale. Toutes les marches étaient couvertes de riches tapis et les salles éclairées par des myriades de lumières jusqu'aux lieux d'ablutions. Tout à coup les instruments modulèrent des airs variés; entourée de quelques dizaines de belles femmes étrangement parées, la Princesse, soutenue par sa suivante, accomplit la cérémonie nuptiale avec le lettré. Le Palais était embaumé par l'odeur des orchidées et du musc.

    Puis, se tenant par la main, les mariés entrèrent dans la chambre nuptiale. Leur amour les comblèrent de joie.

    - Moi, un humble voyageur, dit-il, je ne vous ai jamais témoigné mon dévouement, et j'ai déjà eu la chance d'avoir échappé à la mort sur le billot pour avoir souillé votre mouchoir parfumé, mais en outre vous m'accordez votre alliance. C'est un bonheur totalement inespéré !

    - Ma mère, la Dame du Lac, est la fille du roi de Yangjiang. L'an dernier, comme elle se rendait en visite chez ses parents, elle fut atteinte par une flèche dans sa traversée du lac. Grâce à vous et à vos soins, elle a pu éviter le pire. Notre famille n'avait pas oublié votre bonne action. Mon espèce est différente de la vôtre, mais j'espère bien que cela ne vous inspire pas trop de crainte. J'ai obtenu du Roi Dragon le secret de l'immortalité, je voudrais que vous en bénéficiez aussi.

    Le lettré comprit alors qu'elle était une fée.

    - Comment se fait-il que votre servante m'ait reconnu? demanda-t-il.

    - Sur le lac Dongting n'y avait-il pas un petit poisson qui tenait la queue du Dragon blessé ? C'était cette servante.

    - Puisque vous vouliez m'épargner, demanda encore le lettré, pourquoi retardiez-vous sans cesse ma libération ?

    - J'ai beaucoup de sympathie pour votre talent littéraire, mais il ne m'appartenait pas de prendre une décision; qui pourrait savoir combien j'ai hésité toute une nuit ?

    - Vous êtes mon Bao Shu! soupira le lettré. Et qui était donc la personne qui m'a apporté à manger ?

    - A-Nian, une de mes confidentes aussi.

    - Comment pourrais-je lui rendre grâce ?

    - Elle sera à votre service; on envisagera cela pour plus tard.

    - Où est donc le Grand Roi? questionna-t-il encore.

    - Parti avec le dieu Guan pour soumettre Chiyou, il n'est pas encore rentré.

    Après plusieurs jours passés auprès de la Princesse, craignant que sa famille, restée sans nouvelles, ne soit dévorée d'inquiétude, le lettré envoya d'abord son serviteur pour faire dire qu'il était sain et sauf.

    Les siens avaient appris le naufrage sur le lac Dongting, et sa femme portait le deuil depuis un an. Au retour du serviteur, on sut seulement que le lettré n'avait point péri. Mais du fait des difficultés pour communiquer, on en vint à croire qu'il n'en finirait jamais avec sa vie errante.

    Six mois plus tard, monté sur un coursier magnifique, revêtu de souples fourrures, Chen rentra inopinément chez lui, ramenant des sacs remplis d'objets précieux. Il devint fabuleusement riche , et le faste de sa maison dépassait de loin celui des grands seigneurs du lieu. En l'espace de sept à huit ans, il eut cinq enfants. Il offrait chaque jour des banquets à ses invités. Ses dépenses en matière de vins et de mets dénotaient un luxe inouï. Et comme certains l'interrogeaient sur les sources de sa richesse, il leur raconta son aventure sans rien cacher.

    Liang Zijun, son ami d'enfance, avait assumé des fonctions officielles au Sud pendant une dizaine d'années. En traversant le lac Dongting pour rentrer chez lui, il rencontra une jonque décorée avec un grand art. Des fenêtres sculptées et peintes en laque rouge s'échappaient de ravissantes mélodies, accompagnées au son du sheng* (Petit orgue à bouche portatif) et qui se répandaient sur les ondes brumeuses. Parfois de jolies femmes ouvraient les fenêtres pour contempler le paysage.

    Regardant attentivement à l'intérieur de la jonque, il vit au milieu un jeune homme, tête nue, assis les jambes croisées, et près de lui une jolie fille de seize ans environ qui lui faisait des massages.

    C'est certainement, se dit-il, un grand dignitaire de la région, pourtant il n'a pas d'escorte. A regarder de plus près, il s'aperçut qu'il s'agissait de Chen Mingyun. Il ne put s'empêcher de crier son nom à tue-tête.

    A sa voix, le lettré fit arrêter le bateau et vint sur la proue, invitant Liang à passer à son bord. Celui-ci constata que la table était jonchée de plats entamés, et le lourd fumet des vins flottait encore dans l'air.

    Le lettré donna l'ordre d'enlever immédiatement tous ces restes. Un instant après, quelques jolies servantes venaient offrir du thé et du vin, puis des plats recherchés de fruits de mer ou de produit de montagne inconnus de l'invité.

    - Depuis dix ans que je ne vous ai vu, dit Liang avec curiosité, comment avez-vous pu accumuler tant de richesses et de titres ?

    - Est-ce mépris de votre part à l'égard du pauvre lettré que j'étais ? M'était-il interdit de prospérer! fit-il en riant.

    - Quelle est cette personne qui buvait avec vous tout à l'heure ?

    - C'est mon humble épouse.

    - Où allez-vous conduire votre famille? demanda Liang , toujours plus surpris.

    - Nous voguons vers l'Ouest.

    Et comme Liang voulait continuer à le questionner, le lettré l'invita à boire en écoutant des chants. A peine eut-il donné cet ordre qu'éclata un concert assourdissant où les chants mêlés aux accents des instruments de musique faisaient un vacarme qui empêchait d'entendre quoi que ce fût.

    Devant ces belles filles qui remplissaient la salle, Liang puisant l'audace dans son ivresse lança à Chen à forte voix :

    - Seigneur Mingyun, pourriez-vous me faire goûter avec l'une d'elles à d'autres transports de joie ?

    - Vous avez trop bu, mon ami! fit le lettré en riant, mais je peux vous faire un don qui vous permettra d'acquérir une belle concubine.

    Il demanda à sa servante d'apporter à son ami une perle éblouissante.

    - Avec ce joyau, il ne vous sera pas difficile d'acquérir une Lüzhu *(Nom d'une concubine célèbre). Ceci pour vous montrer que je ne suis pas avare.

    Puis, en guise d'excuse, il ajouta :

    - Quelques occupations pressées m'empêchent de vous tenir compagnie plus longtemps.

    Sur ce, il conduisit Liang jusqu'à son bateau et fit détacher les amarres du sien pour partir.

    Lorsque Liang fut de retour dans sa famille, il se rendit chez le lettré qu'il trouva en train de boire avec ses invités. Stupéfait, il lui demanda :

    - Il y a peu, vous étiez encore sur le lac Dongting; comment avez-vous pu rentrer si vite ?

    - Jamais de la vie! Je n'étais pas là-bas.

    Liang raconta alors ce qu'il avait vu, à la grande stupeur de l'assistance.

    - Vous vous êtes trompé, s'écria le lettré en riant; aurais-je donc le don d'ubiquité ?

    Dans la confusion qui s'ensuivit, personne ne trouva d'explication à ce phénomène.

    Le lettré mourut à l'âge de quatre-vingt-un ans. A son enterrement, on fut étonné d la légéreté de son cercueil. On l'ouvrit, il était vide.

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    Le chroniqueur des Contes fantastiques dit : La corbeille flottant à la surface du lac pour soutenir le naufragé, le carré de soie rouge ramassé par hasard et illustré d'un poème, constituent autant de phénomènes étranges, mais tous reliés par le seul sentiment de la compassion.

    Quant aux Palais, femmes, concubines et privilèges accordées aux deux vies d'un même homme, je ne sais comment les expliquer. Celui qui espère avoir à la fois une épouse charmante, des concubines ravissantes, des enfants et petits-enfants valeureux et une longévité perdurable n'est jamais satisfait qu'à moitié. Y a-t-il aussi chez les immortels des Princes de Fenyang et des Jilun*?

    (*Deux personnages qui possédaient de fabuleuses richesses)



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  • Li Ming habitait une petite province de Chine. Nous l'avons rencontrée lors d'un voyage organisé à Pékin. Elle était debout, vêtue du costume de Mao, ses cheveux tressés et ses yeux remplis de curiosité. Devant ce temple majestueux qui attirait tous les touristes, elle ne cessait de dévisager tous ces étrangers. Puis, l'on ne sait pourquoi, elle s'est approchée. Elle a prononcé quelques mots dans sa langue. Nous ne la comprenions pas. Le groupe s'est éloigné, désintéressé. Son regard était si implorant! Je suis restée. Je l'ai suivie. Elle marchait à grands pas, heureuse. Nous sommes arrivées dans une petite ruelle, grisâtre et fumante. Des marchands ambulants tentaient de vendre leurs plats odorants. Elle s'est arrêtée près d'une porte, l'endroit étati sombre. Nous sommes entrées. Le ciel s'est éclairci, la luminosité était étourdissante. Et devant nous se dressait l'ancienne Chine. Un véritable Empire comme je l'avais imaginé avant d'entreprendre mon voyage. Un palais majestueux, coloré, éblouissant. Et puis une place immense pour le moment inanimée.

    Li Ming m'a demandée de traverser cette place et de m'asseoir sur les marches du palais; elle m'a fait comprendre qu'il fallait que j'attende et que je regarde. J'ai attendu et j'ai vu...

    Mille personnages se sont activés et préparaient vraisemblablement une fête. Ils étaient tous vêtus de soie colorée et mon regard s'est posé. Il y avait là un palanquin dans lequel se trouvait une jeune femme visiblement heureuse. Elle ressemblait étrangement à la petite chinoise qui n'était d'ailleurs plus à mes côtés. Les mêmes yeux si expressifs et enjoués. Elle attendait.

    Tambour battant un cortège est arrivé mené par deux hommes, suivi lui aussi, d'un palanquin contenant un jeune homme. Les palanquins sont maintenant côte à côte, aucun regard ne se croise. Les deux jeunes gens sont invités à se rendre au palais. J'assiste bien à un mariage. Spectatrice, je suis invisible à leurs yeux, Li Ming n'est toujours pas revenue. Les jeunes mariés montent les marches sur lesquelles je suis assise; le cortège les suit.

    Et puis tout s'éteint. Le temps s'arrête quelques minutes. La place est à nouveau déserte et la petite chinoise a repris place à mes côtés. J'ai du mal à comprendre. Elle prend ma main, nous montons les marches du palais et découvrons son intérieur. Elle me montre deux portraits, un homme et une femme; le dernier Empereur de Chine et l'Impératrice. Ces portraits ont une centaine d'années et pourtant il s'agit bien là des jeunes mariés que j'ai vus il y a queques instants.

    Puis Li Ming sort de sa poche une montre gousset et m'explique avec des gestes et quelques mots, que nous avons remonté le temps. C'est un pouvoir qu'elle possède dès qu'elle passe la porte de cette ruelle. Li Ming ne connait que son prénom. Sa famille ne vit pas à Pékin. Elle y vient lorsque ses parents agriculteurs décident d'aller y vendre des produits de leur culture. Elle aime découvrir et c'est en se promenant dans ce vieux quartier que tous ces évènements se sont produits. Elle voulait aujourd'hui que quelqu'un découvre un tout petit bout d'histoire de l'ancienne Chine avec elle. C'est pour celà qu'elle dévisageait tous ces touristes si intensément. Elle faisait un choix. Elle m'a choisie.....

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