• Un jeune lion s’est épris d’une belle jeune fille vivant dans la jungle avec sa famille, il demanda sa main et, malgré la protestation de ses parents, la jeune fille consentit à ce mariage. Après la célébration des noces, le lion emmena son épouse dans sa tanière où il l’entoura d’amour, de tendresse et de bienveillance, il subvint généreusement à ses besoins ce qui la rendit heureuse en sa compagnie pendant de longues années. Un jour, elle exprima le souhait de rendre visite à ses parents qu’elle n’a pas vu depuis bien longtemps ; le lion y consentit de bon gré, l’y accompagna, la laissa en leur compagnie pour une semaine et retourna vers sa tanière.

    Au moment où il revient la reprendre, il intercepta cette discussion entre la mère et sa fille :

    - La mère : tu ne m’as encore rien dit sur ton ménage, ni sur tes relations avec ton mari !

    - Oh maman, tout va bien entre nous, il m’aime et me gâte, je me sens vraiment heureuse avec lui.

    - Il ne peut tout de même pas être sans aucun défaut ! Après un petit moment de silence, la fille répondit :

    - Oui maman, je ne peux vraiment rien te cacher, mon lion pue énormément par la bouche, ce qui me gène un peu trop.

    Quelques instants plus tard, le lion s’annonça, et ramena sa femme à la tanière conjugale comme s’il n’a rien entendu.

    Dès leur arrivée, il alla chercher une épée et la présenta à son épouse : tiens cette épée lui dit-il, ce qu’elle fit d’un air surpris.

    - Maintenant, tu dois me frapper par cette épée de toutes tes forces !

    - Comment puis-je faire cela, est-ce possible ?!

    - Puisque je te le demande, il faut le faire !

    - Impossible, je ne me sens pas capable de te faire du mal !

    Mais, devant l’air insistant et menaçant que prit le lion, elle dut obéir et lui asséna un grand coup d’épée lui causant une blessure dangereuse.

    Quelques jours plus tard et après que sa blessure fut cicatrisée, le lion appela sa femme, et sur un ton grave et attristé il lui dit :

    - Rends toi compte ma chérie, le coup d’épée ne fait vraiment pas de mal puisqu’il guérit par le temps, mais le coup de la langue ne guérit jamais.

    Sur ce, il se jeta sur elle et la broya.

     



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  • extrait d'un conte tunisien,

    La cigale voulait se marier. Elle lissa ses ailes, mit ses bijoux et se fit coiffer par sa mère. Puis elle s'installa devant la porte pour attendre un mari.

    Un chameau passa qui voulut l'épouser. Mais il était trop gros et ne savait rien faire, sauf : "ron! ra! ron!".

    Puis vint un gros boeuf, avec de grandes cornes qui effrayaient la petite cigale, et qui ne savait rien faire sauf:"meuh ! meuh ! ".

    Après le boeuf, vint un âne, qui ne savait rien faire, sauf assourdir la petite cigale avec ses : "hi ! han ! hi ! han ! ".

    Un coq arriva, étalant sa queue et dressant sa crête. Mais lui aussi ne savait rien faire pour la petite cigale, sauf l'effrayer avec ses : "cocorico ! cocorico !".

    Puis vint un petit rat, avec son petit museau pointu, et sa longue queue qui plurent à la petite cigale. Il lui proposa de l'épouser, et lui promit de lui apporter de l'huile, du sucre, de la farine et du miel du Sultan. La cigale lui répondit : "je t'épouserai car ta taille me convient et que tu es le premier à m'apporter du miel...".

    Ils se marièrent. Tandis que le rat allait s'approvisionner dans la maison du Sultan, la petite cigale s'occupait du ménage. Un jour, alors qu'elle lavait à la rivière, elle tomba à l'eau et hurla de sa voix stridente :

    " Ô rat, bon rat, viens vite ta femme se noie !".

    Le rat l'entendit, il choisit une corde solide et accourut. Mais la corde était trop grosse, alors il fit plonger sa queue dans l'eau, que sa femme saisit, ce qui lui permit de la ramener sur le bord. Le rat alluma un grand feu pour sécher sa pauvre cigale, et décida que désormais c'est lui qui ferait seul tous les travaux ménagers.

    Et depuis ce jour, le rat furette partout et semble très occupé, tandis que la cigale chante à perdre haleine dans les arbres quand le soleil brille.




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  • Extrait de :"Histoires Tunisiennes" Jules Affoux édité en 1887.

    Lella Manoubia descendait de Mahomet par les femmes ; sa famille avait droit à la couleur verte du prophète et ne se faisait pas faute d’en user. Lella Manoubia n’en tirait pas vanité. Elle avait poussé, sérieuse et sage, sans un seul jour d’indisposition dans son existence.

    A treize ans, elle se trouvait la plus jolie créature du monde. Avec de pareils êtres toutes les folies s’expliquent, les aplatissements de l’homme devant la chair sont permis et ce n’est pas trop cher que de payer de sa vie une nuit d’amour. Le jeune homme qui connut ainsi Cléopâtre fut heureux. II s’endormit dans un beau rêve : il se leva de table après un bon morceau. Admit â boire une fois le nectar des dieux, on doit après briser sa coupe si l’on ne veut s’abreuver d’amertume le restant de ses jours.

    La merveilleuse Lella Manoubia n’avait aucune idée des perfections qu’elle possédait. Bien plus, à l’âge où l’on peut s’en apercevoir, rien ne vint l’éclairer et l’imprudente jeune fille fit vœu de chasteté, promettant à Mahomet, son aïeul, de vivre et de mourir vierge.

    Elle voulut réserver pour les élus du septième ciel les caresses de ses yeux en velours d’Utrecht, ses joues dorées et odorantes comme une mandarine, la suavité de sa gorge de jeune femme, la rondeur de ses bras, les enlacements exquis de ses membres et la fraîcheur glacée de sa peau dont le contact devait renouveler le miracle d’Antée.

    A cette époque, ses parents, dans un but intéressé, répandirent le bruit de sa beauté. Un très riche cadi, excité par toutes ces louanges, offrit une somme fabuleuse.

    Le père sourit et s’arrangea de façon à lui laisser apercevoir Lella Manoubia la durée d’un éclair. Le cadi, émerveillé, resta muet un instant, puis doubla la somme offerte. Le marché fut conclu.

    En vain, Lella Manoubia pleura toutes les larmes de son corps, rappelant le vœu fait à Mahomet. Le père resta inflexible : il fallut obéir. Cependant, Mahomet n’abandonna pas la vierge ; il envoya des avertissements terribles au cadi. D’abord, une de ses femmes, jalouse, tenta de l’empoisonner. Mais le vieux rusé se douta de quelque chose au goût particulier de son café. Il tendit la tasse à la coupable qui but bravement le contenu et mourut de même. Un autre jour, comme il faisait hypocritement sa prière sur la terrasse de sa maison, un croissant gigantesque lui apparut au milieu du ciel. C’était un croissant sanglant qui, par trois fois, abaissa ses pointes vers la terre comme des pointes décidées à saisir la tête du cadi, puis disparut du côté de l’Orient. Ce phénomène aurait dû l’arrêter. Mais il avait au fond de son œil la vision de Lella Manoubia. Et le mariage s’accomplit. Les parents, les amis s’assemblèrent et, au milieu de la fête, le cadi rajeuni se caressait la barbe avec des airs de jeune homme. Lella Manoubia, la vierge dorée, la perle de topaze, avait disparu. Des matrones, agitant au-dessus de leurs fronts le linge blanc, l’avaient conduite dans la chambre où le grand lit attendait . Puis, on prévint le cadi ; il s’éloigna aussi, des rires l’accompagnèrent : « Et le cierge, le cierge » Lui cria-t-on. Le cadi revint : « c’est vrai, je l’oubliais », dit-il. Un parent lui tendit un magnifique cierge. Le cadi avait le droit de rester absent le temps que celui-ci mettrait à brûler. Heureusement, ce cierge était à trois branches et le cadi n’en alluma qu’une à la fois.

    Lella Manoubia dormait, une main sur son cœur et l’autre sous sa tête. Le cadi se coucha à côté d’elle, l’appelant « petite fleur de son jardin, rose de son rosier ». Lella Manoubia dormait toujours. « Oh ! la belle épousée qui dort si bien un jour de noces », continua le cadi, et il lui baisa la bouche, buvant un peu de sa respiration. L’haleine de Lella Manoubia l’engourdit. Il se laissa aller sur le flanc, ferma les yeux et s’assoupit. Il fit un mauvais rêve et s’éveilla. La première branche du cierge était consumée. Il se leva pour allumer la seconde. La fête continuait dans la maison, le bruit affaibli lui en arrivait. « Par Allah ! » murmura-t-il, il serait, je crois, temps de commencer.

    Il revint au lit. Lella Manoubia ouvrit les yeux et la bouche dans un sourire de bébé adorable. « Oh ! ma sœur », lui dit-elle, si tu savais l’affreux cauchemar que je viens de faire. « Ma sœur !.. », pensa le cadi, quelle est cette drôle de plaisanterie ? « Je rêvais », continua Lella Manoubia, « que malgré mes larmes on m’unissait au cadi ; la cérémonie terminée, on m’avait emmenée dans son lit. Il venait m’y trouver, lorsque je me suis réveillée et je t’ai vue à mes côtés ». « Mais je ne suis pas ta sœur ! » cria le cadi effrayé. « Oh ! Je ne rêve plus », répliqua Lella Manoubia, et, lui jetant ses bras au cou, elle se mit à lui prodiguer des caresses fraternelles.

    Le cadi sentit des torrents de lave lui couler dans les veines. Il se souleva sur un coude et poussa un rugissement en apercevant des seins de femme plantés sur sa poitrine.

    Il saisit follement Lella Manoubia, la meurtrit dans ses bras ; mais il n’avait plus de l’homme que les ardeurs et les envies, les angoisses douloureuses et terribles d’une impuissance insurmontable. Les matrones impatientes arrivèrent et le trouvèrent dans un état lamentable. La seconde branche du cierge avait fini de brûler depuis longtemps. Le cadi ne voulut pas user la dernière. Reconnaissant enfin qu’il se heurtait contre une manifestation de la volonté divine, il se soumit, rendit la vierge imprenable à la liberté et à sa famille, et recouvra aussitôt son sexe.

    Cette aventure ébruitée fut la sauvegarde de Lella Manoubia. Jamais plus personne ne tenta de lui faire violer son vœu. Elle vécut comme une sainte, fit plusieurs miracles et, après sa mort, sa mémoire est restée vénérée.



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  • Qui n’a pas entendu ce conte de la bouche de sa maman ? Une chèvre avait trois chevreaux : Hemhem, Zemzem et la Chatte Cendrée, ainsi surnommée, a cause de la couleur de son poil, rappelant la cendre.

    Tous les matins, en sortant de la maison, la chèvre recommandait à ses petits, de fermer le verrou et de n’ouvrir a personne. Tous les soirs elle revenait et demandait en chantant, à ses biquets :

    Ouvrez, ouvrez moi mes petits,

    Nous allons dîner de bon appétit.

    Et elle frappait sur la porte, en fredonnant :

    J’apporte dans mes mamelles du lait,

    Des sacs d’herbe sur mon dos sont attachés,

    Et dans mes cornes de l’eau de la source puisée.

    Alors, les cabris tiraient les verrous, couraient à leur maman, plein de joie.

    Or une ghoula (a) habitant le quartier, remarqua les habitudes de la chèvre, espionna son manège, et apprit par cœur les paroles chantées par la chèvre mère, et marqua son horaire d’arrivée.

    Un soir la ghoula imitant la maman appela les chevreaux en chantant :

    Ouvrez, ouvrez moi mes petits,

    Nous allons dîner de bon appétit.

    Et elle frappa sur la porte, en fredonnant :

    J’apporte dans mes mamelles du lait,

    Des sacs d’herbe sur mon dos sont attachés,

    Et dans mes cornes de l’eau, de la source puisée.

    Hemhem et Zemzem voulurent ouvrir en courant, mais la toute petite, ne reconnaissant pas la voix essaya de les retenir. Ils ne l’écoutèrent point, la traitant de petite chevrette effrayée, ils tirèrent le verrou.

    La Chatte Cendrée, apeurée sauta sur une haute étagère, tandis que la ghoula entrait dans la maison et elle avala d’un coup les deux malheureux cabris. La ghoula se posta devant la petit chèvre, mais craignant ses cornes prêtes a cogner, elle s’assit a table et pas encore rassasiée elle mangea encore un grand plat d’assida (b), bien assaisonnée d’ail et de piments, avec une belle sauce épaisse garnie de hareng fumé.

    Ensuite elle sortit du logis. Peu de temps après, la chèvre revenant a sa demeure, demanda joyeusement de lui ouvrir, en chantant :

    Ouvrez, ouvrez moi mes petits,

    Nous allons dîner de bon appétit.

    Et elle frappa sur la porte, en fredonnant :

    J’apporte dans mes mamelles du lait,

    Des sacs d’herbe sur mon dos sont attachés,

    Et dans mes cornes de l’eau, de la source puisée.

    La Chatte Cendrée, reconnaissant le timbre de la voix de sa maman, tira le verrou et ouvrit les portes. Elle raconta à sa mère, ce qui s’est passée auparavant. La chèvre ne perdant pas de temps, aiguisa ses cornes et sautant sur la terrasse voisine tapa de ses pattes sur le toit. On lui demanda :

    Qui est sur ma chambre et réveille ma colère ?

    Trouble mon repos et celui de ma belle mère ?

    Et dans mon dîner, fait tomber de la poussière ?

    La chèvre répondit :

    Celui qui a mangé mes petits,

    Je le combattrais sans répit.

    En duel, je le convoque,

    Je le tues, pas d’équivoque !

    On lui répliqua :

    Je ne suis que Cot-Cot la poulette,

    Je me nourris de graines et de miettes.

    Je ne mange pas la viande de chevrettes.

    La chèvre, s’en alla et sur autre toit de ses pieds frappa. On lui demanda :

    Qui est sur ma chambre et réveille ma colère ?

    Trouble mon repos et celui de ma belle mère ?

    Et dans mon dîner, fait tomber de la poussière ?

    La chèvre répondit :

    Celui qui a mangé mes petits,

    Je le combattrais sans répit.

    En duel, je le convoque,

    Je le tues, pas d’équivoque !

    On lui répliqua :

    Je suis le Bébé, la jeune brebis,

    D’herbe et de feuilles me nourris.

    Je ne mange pas de viande, mon amie.

    La chèvre alla de toit en toit et se trouva au dessus de la maisonnette de l’ânesse, de la vache et de la jument, aucune d’elles n’étant carnivore, elles étaient en dehors de tout soupçon.

    Enfin elle se trouva sur le toit de la ghoula. Elle tapa de ses pattes. On lui demanda :

    Qui est sur ma chambre et réveille ma colère ?

    Trouble mon repos et celui de ma belle mère ?

    Et dans mon dîner, fait tomber de la poussière ?

    La chèvre répondit :

    Celui qui a mangé mes petits,

    Je le combattrais sans répit.

    En duel, je le convoque,

    Je le tues, pas d’équivoque !

    On lui répliqua :

    Je suis la ghoula, que tout le monde redoute.

    J’ai mangé Hemhem et Zemzem, pas de doute !

    Si tu veux rencontrer tes petits, tout de suite,

    Descends que je t’écorche et te mange vite.

    La chèvre sauta dans la cour de la ghoula, la douleur et le malheur décuplant ses forces, elle attaqua la ghoula alourdie par son riche festin. De sa corne aiguisée, elle lui ouvrit le ventre, de bas en haut. Hemhem et Zemzem en sortirent et sautant a terre, ils dansèrent et chantèrent :

    Nous avons mangé l’assida bien piquante

    Dans une grande quaça’a (c), si abondante,

    Dans le ventre de la ghoula qui est agonisante.

    Leur maman leur fit des remontrances :

    - Ouvrirez-vous les portes sans prendre des précautions ? Puis elle les emmena à la maison.

    Glossaire : (a) La ghoula, au masculin ghoul, et au pluriel ghoual. Les ghoual sont des démons qui prennent des apparences humaines. Ils errent dans les campagnes et se nourrissent de chair humaine ou animale. Ils sont capables de jeûner longtemps, jusqu’à trouver une nourriture disponible. Quand la faim les tenaille, ils se contentent de manger des cadavres d’animaux et même, humains qu’ils cherchent dans les cimetières. (Vous n’êtes pas obligés de croire, mais les enfants en Tunisie y croyaient, jusqu’à l’âge de 11 ans.)

    (b) L’assida. Bouillie dense de semoule de blé, servie arrosée d’une sauce piquante, salée ou sucrée, selon les besoins.

    (c) La quaça’a. Grande cuvette de bois, ou l’on prépare le couscous et qui sert aussi à servir la nourriture a la famille qui mange autour.

    Ecrit par Camus Igal Bouhnik, d’après : Contes et légendes de Ghzala.

     



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  • Les éditions Cérès ont fait paraître, dans la collection «Cérès jeunesse» en 2007, cinq contes de Issam Marzouki, sous le titre Kabîr, l’éléphanteau de Carthage et autres contes.

    «Kabîr» veut dire «grand» en arabe et l’éléphanteau a beau être grand, il demeure petit. Le jeu est permis, il est encore plus émouvant quand il dit les possibilités de la rencontre de deux langues.

     

    Le premier conte donc, Kabîr ou l’éléphanteau de Carthage, met en scène un orphelin de père et mère qui grandit dans la cité sous le regard protecteur des adultes. Il est élevé par sa grand-mère et devient l’ami d’un éléphanteau «Kabîr».
    Dans une fiction jalonnée de noms célèbres référant à l’histoire de Carthage et relatant ses batailles se brosse un univers dont le conteur se fait témoin : «Pendant une durée indéterminée qui me sembla infinie, le sort de la bataille fut comme suspendu». Cette voix rappelle celle des personnages de nouvelles qui entreprennent de relater un récit dont ils ont été témoins. Le conteur est cet être d’ici et d’ailleurs, investi du pouvoir de traverser le temps et l’espace. Son discours ancré dans le présent rassure et ses récits placés dans un ailleurs spatio-temporel fascinent.

     

    L’éléphanteau, Kabîr, est engagé dans une bataille que les Carthaginois perdront. Mais il ne mourra pas car à l’abri des hommes et de leurs guerres, l’amour peut triompher et l’enfant et l’animal redonneront au rêve sa souveraineté dans un espace difficilement accessible : «Les bûcherons pauvres qui osent s’engager dans les profondes forêts (...) auraient vu un étrange jeune garçon aux cheveux noirs, la taille cernée de peau de bête, danser sur le dos d’un jeune  éléphant». Les motifs des contes merveilleux sont bien là et les valeurs séculaires qu’ils transmettent de génération en génération aussi. La paix et l’harmonie sont possibles dans un ailleurs accessible seulement à quelques initiés, ainsi le veut la loi du conte.

     

    Le deuxième conte est inspiré du livre de Defoe, Robinson Crusoé. Il s’intitule d’ailleurs Le Robinson tunisien. Le personnage déclare à la fin du conte : «Au récit de mon aventure, le capitaine s’émerveilla et m’apprit qu’un écrivain anglais nommé Defoe avait raconté dans un de ses romans, Robinson Crusoé, une histoire pareille à la mienne».
    Au début de l’histoire, le Robinson tunisien se présente et envahit l’espace immédiat de nos enfants par les sonorités de son prénom et son appartenance géographique : «Je m’appelle Salem et j’étais le seul Tunisien dans un équipage formé pour une large part de marins grecs et portugais». La proximité de l’Autre, l’étranger, «grecs et portugais», dessine encore mieux les contours de son identité.

     

    L’histoire raconte que le bateau sur lequel Salem s’est engagé fit naufrage et qu’il échoua sur une île où il vit «une forêt épaisse qui partait à l’assaut d’une montagne escarpée». Le ton enjoué charme le lecteur qui lit les péripéties du Robinson tunisien pris entre la joie de vivre alors que ses compagnons ont péri et la tristesse de se retrouver loin des hommes : «Bey sans sujets, je présidais fièrement aux destinées de ce petit monde bêlant, gloussant, piaillant et aboyant, mais la compagnie de mes semblables me manquait terriblement».

     

    Salem Robinson a pris le parti de prouver que le travail est ce qui fait la supériorité de l’homme sur les autres créatures : «C’est ainsi que je devins alternativement agriculteur, éleveur et potier». Pour se sentir moins seul, cet homme seul sur une île sauvage apprend quelques phrases à un perroquet qui, en répétant: «pauvre Salem !» et surtout «le couscous est prêt» et «ta chéchia est tombée», lui fait franchir des lieues pour le ramener parmi les siens grâce au langage articulé. Dans ce conte, la préférence à la ville de Nabeul comme lieu où Salem a appris la poterie permet au jeune lecteur de découvrir que le réel peut être  contaminé par le rêve. Enfin, quand le personnage conclut : «Mon travail de potier me permit de parachever mon œuvre et d’accéder à un degré supérieur de civilisation qui contribua à tunisifier ma vie primitive», on lit le néologisme «tunisifier» comme synonyme de «civiliser». Ce verbe replace le jeune lecteur tunisien dans son réel rassurant et confortable.

     

    Les autres contes «Voyage sous la Médina», «Le dernier dinosaure» et «Les évadés du futur» procèdent de la même manière. Une voix enthousiaste, chaleureuse, convie les enfants à investir le rêve comme possibilité, comme espace auquel on peut accéder et dans lequel on peut basculer en se laissant seulement entraîner par la magie des mots.

     

     


     



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  • Le jardinier du Sultan vient de découvrir que l’un des pêchers de la plantation a donné naissance prématurément à un fruit particulièrement beau et quelque peu plus grand que nature ; le sultan, ayant été sollicité à venir admirer ce fruit, donna ses instructions à son jardinier de bien surveiller l’arbre et de lui présenter ce fruit une fois devenu mûr, et c’est ainsi que l’ouvrier veilla à cet arbre attentivement, jour et nuit, allant jusqu’à prendre ses repas sur place pour ne pas le perdre de vue.

    Un jour il fut surpris par un aigle qui vint se percher sur l’arbre créant un grand fracas : la branche où pendait le fruit en fut cassée et la pêche tombée par terre !

     Tout attristé par cet incident, le jardinier s’empressa de rapporter au Sultan ce fâcheux évènement, mais, à sa grande surprise, le Roi ne se montra pas contrarié et lui répondit :" ne t’en fais pas, cet aigle en aura pour son acte."

    Quelques mois plus tard, le jardinier surprit une grosse couleuvre sur le même arbre en train de dévorer l’aigle, qui, peu à peu, fut entièrement englouti ; il alla sur le champ en informer le Sultan qui lui répondit sur le même ton :" cette couleuvre en aura pour son acte !"

    Au cours de la même année, alors que notre jardinier est en pleine besogne, il se rendit compte qu’il vient de couper la tête de la couleuvre par un coup de pelle, alors que ce gros reptile était enfoui dans le sable ! Croyant avoir remporté exploit, il alla raconter son aventure au Sultan ; celui-ci lui répondit sobrement :" tu en auras pour ton acte !"

    Cet évènement fut à peine oublié que les Gardes du Sultan préviennent un jour tous les ouvriers travaillant dans la plantation de devoir quitter les lieux, car le harem viendra se baigner dans la piscine ; c’est ainsi que, sitôt dit, sitôt fait : tout le monde déserta les lieux sauf notre jardinier qui n’a pas eu écho de ces instructions.

    Alors qu’il prenait une paisible sieste dans l’ombre d’un arbre situé près de la piscine, il vit un groupe de femmes venir dans sa direction ! Sentant le danger et craignant pour sa vie, il grimpa dans l’arbre et se cacha sous les branches ; dans cette position, il put admirer un beau spectacle de femmes nues se baigner et s’amuser dans la piscine, quand tout à coup, ayant découvert son existence, ces femmes s’affolèrent, sortirent de l’eau en remettant en hâte leurs voiles et en laissant échapper des cris stridents ! Les gardes accourent, emportent le jardinier et l’enferment. La reine avisa le Sultan qui prononça sur le champ l’arrêt de mort à l’encontre du pauvre jardinier.

    Le lendemain matin, jour d’exécution de la sentence, le bourreau conduisit le condamné vers l’échafaud et entreprit les préparatifs nécessaires à l’accomplissement de son œuvre : s’adressant au condamné : "quel est ton dernier vœu," ? Lui demanda t-il. "si vous le permettez, j’aimerais bien être reçu par le Sultan, j’aurais à lui dire juste un petit mot, répondit le jardinier".

    En présence du roi, le jardinier se permit : "Sire, je suis condamné à mort malgré mon innocence, j’implore votre indulgence". Le Sultan ne voulut rien entendre ; alors au jardinier d’ajouter : "Sire, c’est bien votre majesté qui, un jour m’avait dit que l’aigle, ayant cassé le pêcher, en aura pour son acte, et que la couleuvre qui a dévoré l’aigle en aura pour son acte, et que, moi, en aurai aussi pour mon acte, pour avoir tué la couleuvre. " Sire, vous venez de me condamner à mort injustement, vous en aurez également pour votre acte !"

    Ayant entendu ce discours, le Sultan s’empressa alors de libérer le jardinier, dans un sentiment de colère mitigée.



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