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    C’était vers l’année 1230. L’armée des Croisés, déjà épuisée par la maladie et les privations, venait d’essuyer une sanglante défaite, près de Gaza en Palestine.

    Parmi les nombreux prisonniers chrétiens capturés par les infidèles, figurait Cunon de Linange, sire de Réchicourt, un brave chevalier lorrain qui s’était à plusieurs reprises vaillamment distingué dans les combats dans les troupes du duc de Lorraine.

    Il fut conduit dans une ville inconnue et jeté au fond d’un cachot sans lumière, profond et malodorant, en attendant que le duc eût versé sa rançon.

    Pieds et points liés par de lourdes chaînes, il n’avait comme ami que les rats de sa cellule.

    De nombreuses années s’écoulèrent. Le prisonnier voyait les jours se succéder sans qu’un signe de sa libération n’apparut.

    Sa barbe, qui avaient poussé abondamment ; lui donnaient un visage affreux, hideux à voir, où les yeux seuls avaient conservé quelque chose d’humain.

    Il se sentait abandonné et oublié de tous.

    Il invoquait Saint-Nicolas afin qu’il lui vienne en aide.

    Chaque soir, avant de s’assoupir, il adressait au saint patron de la Lorraine une prière implorante et s’endormait sur des rêves d’évasion.

    Or, le 5 décembre 1240, il pria saint Nicolas avec plus de foi et de ferveur que les autres jours.

    Quelque chose lui disait que la fin de ses malheurs était proche.

    Il s’assoupit et soudain se réveilla en grelottant de froid.

    Où se trouvait-il  donc ?

    En effet, au-dessus de sa tête, il apercevait les étoiles, les étoiles qui scintillaient et qu’il n’avait plus vues depuis 10 ans. Il regarda autour de lui.

    Etait-ce un rêve ?... Les murs de sa prison avaient disparu.

    Il sentait sur son visage un vent vif et glacial.

    Il se leva et vit qu’il était couché sur les marches de l’église de Saint Nicolas de Port, en Lorraine, à quelques lieues de chez lui

    . Le grand saint, exauçant sa prière, l’avait miraculeusement transporté pendant son sommeil sur le parvis de ce sanctuaire.

    Fou de joie et de reconnaissance, il voulut entrer dans l’église, mais elle était fermée.

    Il n’attendit pas longtemps, car un prêtre arriva bientôt pour dire le premier office. Voyant cet être hirsute, couvert de haillons, le prêtre recula de frayeur.

    « N’ayez aucune crainte », lui dit alors le malheureux, je suis Cunon de Réchicourt. Saint Nicolas m’a sauvé.

    « Ce n’est pas possible », dit le prêtre.

    Mais Cunon lui tendit son sceau, marqué aux armes de Réchicourt et de Lorraine. Alors, le prêtre le reconnut et s’écria :

    « Dieu soit loué ! » c’est donc vrai.

    Il fit aussitôt sonner les cloches à toute volée.

    Toute la population accourut pendant l’officie les chaînes que le prisonnier portait encore, tombèrent toutes seules, les lourds anneaux de fer s’écartèrent d’eux-mêmes et roulèrent avec fracas sur les dalles de l’église.

    Ainsi voilà comment Cunon de Réchicourt retrouva t-il la liberté.

     



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    Entre 1635 et 1636, la Lorraine connut son pire cauchemar, une terrible guerre celle de 30 ans s’abattit sur cette province. Les Suédois, Allemands, Croates, Hongrois massacraient, tuaient, pillaient tout ce qu’ils pouvaient trouver.

    Des immenses incendies embrasaient le ciel et il flottait en permanence une odeur de fumée irrespirable, des centaines et des centaines d’habitants furent massacrés.

    Le matin du 5 novembre 1635, des soldats Suédois attaquèrent la ville de Saint-Nicolas-de-Port, ils pillèrent, ravagèrent et brulèrent tout sur leur passage.

    Les habitants réfugiés dans l’église étaient terrorisés par tout ce vacarme et attendaient la suite des évènements avec des idées de morts.

    En très peu de temps le village entier était dévasté, il ne restait au milieu de se désastre que l’église.

    Les Suédois enivrés et destructeurs brulèrent le toit de l’église qui s’embrasa en quelques minutes.

    Les hautes flammes montaient très haut dans le ciel et étaient visibles jusqu’à la ville de Nancy.

    Des cris de terreur s’élevaient à l’intérieur de l’édifice.

    Les envahisseurs défoncèrent la porte d’entrée et firent un épouvantable massacre…

    Mais à l’autel de saint Barbe, Dom Moye, bénédictin, achevait de dire sa messe. Quand il se rendit compte de la situation, il saisit le calice et courut se réfugier derrière le gros pilier de la tour Saint-Pierre et se serra étroitement contre lui.

    Soudain, un grand Suédois barbu l’aperçut. L’épée haute, il bondit sur le pauvre bénédictin.

    Mais au même instant, le pilier s’entrouvrit sur le moine, puis se referma aussitôt en l’engloutissant. Interdit, le soldat s’arrêta, le souffle coupé devant le prodige.

    Il frappa plusieurs fois le pilier avec son épée à grands coups, dans l’intention de le démolir. Mais son arme se brisa contre la pierre et furieux, il la jeta en jurant abondamment.

    Ce pilier, qui renferme toujours le moine bénédictin échappé à la fureur des pillards, se voit encore à l’église de Saint Nicolas de Port.

    Lorsque vous mettez l’oreille contre la pierre, vous entendez une plainte lointaine, qui semble sortir du pilier.

    Et quand de graves menaces pèsent sur la Lorraine, quand de pénibles événements sont proches, ce pilier suinte abondamment : on dit alors qu’il pleure. Ainsi, peu avant les guerres de 1870 et de 1914, les fidèles ont vu de grosses gouttes couler le long de la pierre : ce sont : « les larmes que le moine emmuré verse à l’approche de nouveaux malheurs ».

     

     





     

     

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  • Même si le hameau de Salm n'a jamais été une métropole, il importe de lui accorder le respect qui lui est du. Il se compose essentiellement des fermes du château et s'est développé autour de celui-ci. Certes, le château n'a jamais eu de rôle militaire majeur. Construit au Moyen-âge, il était déjà dépassé et ruiné à l'époque de la guerre de Trente Ans. Mais c'est quand même le château. Il est l'éponyme du pays, ce qui n'est pas rien, et les fermes qui lui survivent sont des fermes seigneuriales, ce qui est, pour une ferme, une sorte de titre de noblesse, et, pour le fermier, une source de dégrèvement fiscal. Alors, s'il te plait, cher lecteur, arrête d'insinuer que les maisons du village se comptent sur les doigts des deux mains. Je sais bien que tu ne me l'as pas dit, mais je t'entends le penser très fort.

    Et puis, il y a le grand chêne centenaire, qui déploie son houppier majestueux. C'est un chêne sacré. D'ailleurs, aujourd'hui, toute la population des villages alentour se rassemble à son pied. C'est le dimanche qui suit celui de la Pentecôte, ou en d'autres termes le dimanche de la Trinité, et c'est dans des jours comme celui-ci qu'on se rend compte qu'il ne suffit pas à un bourg d'être grand (relativement), comme la Broque, ou riche (relativement) comme Framont, pour être une terre sacrée.

    Salm n'a peut être que quelques maisons, mais c'est de là, et de nulle part ailleurs, que part le pèlerinage à Notre Dame de la Maix.

    Voici donc tout le pays qui se rassemble au pied du chêne : voici les mineurs de Framont, voici les notables de Senones, et là, plus loin, les forestiers de partout, de Chatas, du Saulcy, de Luvigny, de Moussey, et j'en passe. Il y a même des gens extérieurs au pays, car le pèlerinage de la Maix, ce n'est pas chose banale.

    Depuis Pâques déjà, nous sommes dans la moitié heureuse de l'année, celle des arbres verts, des fleurs, du soleil, des récoltes qui poussent.

    Depuis le 23 avril fête de saint Georges, on sait qu'on est dans la moitié de l'année marquée par le travail, la production et la propriété privée. On a payé, à la Saint Georges, son bail au propriétaire terrien. On respecte les limites des propriétés, on prend garde à ne pas piétiner les champs des voisins et l'on attend d'eux la réciproque.

    Il y a peu de jours, aux Rogations, le curé a béni les champs, et, puisqu'on est dans la moitié de l'année où la propriété est privée, chacun a veillé à ce que son champ ne reçoive pas un coup de goupillon de moins que le champ du voisin. La surveillance du curé aux Rogations est indispensable. Celui-ci, un moine, a ses pensées à Senones et ne s'intéresse à sa paroisse que d'assez loin. Il n'en touche pas la dîme, qui va à l'abbé. Mal nourri à la portion congrue, il estime parfois devoir un service paroissial proportionnel à son "salaire". La plupart du temps, les paroissiens s'en accommodent mais, le jour des Rogations, pas question de laisser Monsieur le Curé jouer les syndicalistes. C'est le seul jour de l'année où il fait un travail vraiment utile en guidant les prières et processions de la communauté pour de bonnes récoltes. Alors, il a intérêt à bosser !

    Donc, chacun ayant veillé à ce qu'il ne manque pas une bénédiction sur son champ, on compte sur une bonne récolte. Enfin, plutôt, comme on est réaliste et qu'on ne demande pas l'impossible à Dieu, on compte surtout sur de bonnes prévisions météo : le temps qu'il fait à tel moment des Rogations est réputé annoncer celui qu'il fera pendant telle période de l'année.

    Dans la moitié de l'année ouverte par Saint Georges, il n'est pas question de religion triste, de repentir, de cendres, de guenilles, de retour sur soi-même. C'est la fête. Il n'y a rien d'extraordinairement mystique à en dire, sinon que tout est propre et gai. Les maisons ont été nettoyées en grand, et même les tas de fumiers jouent les invisibles, camouflés qu'ils sont sous des branchages.

    Feuilles et branches sont les vedettes du jour ; elles l'étaient déjà à la fête du Mai, et elles continueront de l'être pour la Fête Dieu (deuxième dimanche après Pentecôte). Les bouquets verts sont de toutes tailles. Il y a les petits, portatifs, que chacun tient à la main. Et il y a ceux que l'on a arrangés au bord de la route, véritables petites chapelles temporaires, garnis de rubans multicolores comme ceux qu'on porte aux mariages, et parfois même occupés par un bébé, ce qui fait de la fête une véritable Noël de printemps. Le cortège est joyeux, excité, criard pour les plus jeunes ; on tire des pétards, et les adolescents ne se cachent guère pour s'intéresser au sexe opposé.

    Le seul qui n'est pas très content, c'est le curé. Il trouve que les pèlerins manquent de piété, et il n'a pas forcément tort.

    Voici la joyeuse bande qui arrive à l'ermitage. C'est un petit ensemble de trois bâtiments, dont la chapelle et l'habitation de frère Claude Florentin, l'ermite. C'est le plus gai de tous, car aujourd'hui, il va augmenter ses maigres revenus. Heureux propriétaire de trente et une bouteilles de verre et de quarante six gobelets, l'homme de Dieu, aujourd'hui, est d'abord le tenancier de la buvette. Arrivés à l'avance, musiciens et montreurs d'ours occupent déjà le terrain, et comme chaque année, ce n'est pas une mince affaire, pour le curé, que de faire entrer ses paroissiens dans l'église. Bien sur, à l'époque, le paroissien de base est obéissant, mais il est clair que chacun anticipe de toute la force de son âme le Ite missa est qui le délivrera de la corvée du jour et lui ouvrira les portes dorées de la fête.

    Pour ce qui est du thème du sermon, on le connaît à l'avance.

    Comme chaque année, le curé raconte comment, autrefois, il y avait un village à l'emplacement du lac. Un matin, le diable vint, déguisé en musicien. Chacun se mit à danser, sans prendre garde à l'heure de la messe. En vain la cloche de l'église sonna-t-elle un coup, puis deux, puis trois : les villageois n'avaient d'oreilles que pour le musicien. Alors, Dieu se fâcha. Le sol se déroba sous les pas des danseurs, engloutissant le village et ses habitants. Depuis, il y a un lac à la place. Au fond, les habitants sont condamnés à danser jusqu'au jour du jugement dernier, cependant que la cloche de leur église, engloutie avec le reste du village, continue de sonner sans qu'ils l'entendent.

    Ite missa est ! Enfin !

    Ayant assisté à la messe, les pèlerins n'ont pas à craindre le sort des malheureux condamnés à danser là en dessous. Leur esprit n'en est que plus libre pour s'adonner à ce qui fait le fond de la fête de la Trinité : bon repas, danse, pétards, drague, et toutes les attractions de ce qui est en fait une fête foraine. De temps en temps, les plus curieux se baissent pour coller leur oreille au sol, et là les supputations vont bon train. Est-ce que l'on entend le violon du musicien diabolique ? Est-ce que l'on entend la cloche de l'Eglise ? Certains vous jurent que oui.

    Même les Hapolahs, les austères protestants du Ban de la Roche voisin, s'amusent ce jour là. Bien sur, ils n'appellent pas cela la Trinité, ils appellent cela le retour de la Pentecôte. Car, comme toutes les fêtes de la belle saison dans la région, la Pentecôte dure le Dimanche, le lundi et le Dimanche d'après, que l'on appelle le retour de la fête. Le programme est le même qu'en terre catholique : après le culte, inévitable le Dimanche, place à la fête !

    Le cœur de l'été sera occupé par le travail, et les fêtes s'y feront discrètes. D'une façon générale, le partage binaire de l'année, si caractéristique de la région, s'intéresse aux équinoxes (printemps et automne) plus qu'aux solstices (hiver et été). Les fêtes de la saint Jean (solstice d'été) sont discrètes et même souvent inexistantes.

    Puis, selon l'habituel rythme binaire qui tend à donner à chaque fête son pendant à l'autre bout de l'année, la fin des récoltes verra des réjouissances peu différentes de celles du printemps.

    Elles n'ont pas de nom général, ont dit : "la fête du village" ou "la fête patronale" (fête de Rothau au Ban de la Roche protestant ; dates diverses dans les villages catholiques). Elles constituent une sorte de Pentecôte-Trinité d'automne. Même calendrier : Dimanche, lundi et Dimanche suivant. Même programme : messe ou culte (le Dimanche, on ne voit guère le moyen d'y échapper), puis les choses sérieuses : repas et fête foraine.

    La fête de la "Pentecôte d'automne" est, comme on l'a vu, variable à l'intérieur d'une plage de temps correspondant à l’après-récolte et à l'avant-frimas. On est autour de la saint Michel (29 septembre) qui ouvre la période d'automne et d'hiver. Comme son symétrique Saint Georges, Saint Michel est un saint guerrier, assez autoritaire, qui veille à ce qu'on n'empiète pas sur sa moitié d'année. A la saint Michel (ou à la fête du village qui lui correspond approximativement) , on finit de payer le berger communal ; les bêtes sont à l'étable ; la récolte doit être rentrée ; la propriété privée est abolie pour six mois, et chacun le fait savoir en poussant sa brouette de fumier selon le trajet le plus pratique, sans se soucier des limites des champs ; les récoltes sont rentrées, alors, on est prié de ne pas jouer les mauvais coucheurs et de ne pas exiger, de ses voisins, des détours qui n'ont aucune raison d'être.

    Comme on vient de le voir, le changement de régime, assez autoritaire, a lieu à une date qui varie selon les villages à l'intérieur d'une plage de temps assez large. C'est donc le moment d'affirmer son identité en choisissant sa date dans les limites du possible. Les anabaptistes du Salm s'alignent sur la fête de Rothau et non sur celle des villages catholiques où ils habitent. Ce n'est pas neutre.

    Parmi les éléments traditionnels de la fête d'automne, il ne faut pas oublier les bagarres entre jeunes gens de différents villages, qui sont une partie obligée de la fête et revêtent quasiment un caractère rituel.

    Après la saint Michel, viennent les fêtes de l'hiver, plus graves et plus mystiques.




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  • La fois là, au temps où la terre de Salm ne s'appelait pas encore la terre de Salm, les Bonnes Pierres de Bethléem donnèrent un enfant merveilleux à une vierge nommée Marie.

    Comme elle était sans toit et sur le point d'accoucher, les Bonnes Pierres s'ouvrirent, comme elles savent le faire quand elles veulent, formant une grotte où l'enfant put venir au monde. C'était un enfant divin et même plus : c'était Dieu lui-même. Non pas qu'il ait abandonné sa demeure du ciel et la direction de l'univers, bien sur, mais, comme c'était Dieu, c'était rien pour lui de se dédoubler en deux personnes, le Père et le Fils.

    Or, le Roi Sauvage de la contrée l'apprit, et il craignit que l'enfant-Dieu ne voulût devenir roi à sa place. Il convoqua donc tous ses soldats et leur ordonna de massacrer tous les petits garçons du pays sans en oublier aucun.

    La pauvre Marie n'avait plus qu'à se sauver avec son poupon, qui s'appelait Jésus.

    S'étant perdue, elle arriva dans les environs de Vipucelle, qui ne s'appelait pas encore Vipucelle. Les belles forêts vosgiennes l'effrayaient et, en même temps, la rassuraient. Quel soldat viendrait la chercher ici ? A cette époque, les grands de l'Empire ne savaient même pas que ce pays existait.

    Remerciant les Bonnes Pierres, elle s'apprêtait à installer ici sa demeure, quand elle entendit comme une musique dans le lointain.

    Or, la musique, c'est bien beau, mais souvent, cela annonce un seigneur en déplacement, une meute en train de chasser, et toutes sortes de choses menaçantes pour le petit monde, dont Marie faisait partie. La musique des cors redoubla d'intensité, paraissant plus proche. Marie murmura à son poupon : "Ça me schmecke mie !". Puis elle le souleva et reprit sa route.

    La musique devenait de plus en plus distincte, et des aboiements de chiens commençaient à s'y mêler. C'était la chasse du Roi Sauvage, et elle savait fort bien ce qu'elle chassait, à savoir Marie et le petit Jésus.

    La pauvre femme se mit à courir, aussi vite qu'elle le pouvait, malgré les pentes et les broussailles, mais certes, elle n'allait pas aussi vite que des hommes à cheval et leurs chiens, qui se rapprochaient sans cesse.

    Sa course la mena jusqu'aux abords de Grandfontaine. Les pierres qui habitent là parlent d'elle encore aujourd'hui, surtout celle que l'on appelle la Roche de la Marie des Bois.

    Elle arriva enfin au bord du lac de la Maix complètement épuisée.

    "Assieds toi un instant", lui dirent les bonnes pierres du lac. Et elles formèrent comme un petit siège de pierre que l'on put voir encore longtemps, et que l'on continuait de vénérer au temps de la Gargantine, une femme dont nous reparlerons.

    Bien reposée, Marie put échapper à ses poursuivants, mais les autres petits garçons de la région furent tous tués, certains sans avoir reçu le baptême.

    L'abbé de la région, plus méchant encore que les soldats du Roi Sauvage, décida qu'ils ne pourraient aller au paradis. Pas de baptême, pas de salut ! telle était la règle qu'il avait instituée et il ne s'en écartait pas. Que les petits innocents soient privés de leur part de paradis, c'était pour lui, bien peu de chose en comparaison de qui comptait vraiment à ses yeux, à savoir un respect sans exception possible des lois qu'il avait instituées, et qui réservaient le paradis aux enfants auxquels il avait apposé sa marque.

    Cela, bien sur, les Hautes Pierres n'allaient pas le tolérer. Elles tinrent chapitre au Lac de la Maix pour délibérer du problème.

    "Il me semble, dit d'Aînée des Pierres, que cela ne nous dérangerait guère de permettre que les petits innocents soient posés à notre sommet une seule nuit, le temps pour eux de recevoir le baptême des anges, qui vaut bien celui de l'abbé."

    Les autres en convirent, et ainsi fut fait. Les pierres du Lac de la Maix devinrent des pierres à répit. On y exposait une nuit les petits cadavres, puis on les enterrait à proximité, au cimetière des Innocents.

    Ainsi fit-on au cours des siècles, jusque presque à nos jours. Au dix-neuvième siècle encore, mon lointain cousin, Frédéric-Adrien Wiedemann, propriétaire de l'Hôtel des Deux Clés à Rothau, emmenait encore ses clients en excursion au Lac de la Maix et leur montrait les restes du cimetière des Innocents, que l'on pouvait encore voir à son époque.

    Le petit Jésus grandit et fit des miracles. C'était un très grand saint, peut être plus puissant encore que Saint Matterne, Saint Hydulphe ou Sainte Odile.

    Mais revenons à cette légende où la Sainte Vierge, épuisée par sa fuite, se repose au lac de la Maix.

    Si nous la connaissons, c'est grâce à Jennon Villemin, dite la Gargantine, de Bazegney près de Dompierre. Arrêtée pour sorcellerie en 1625, elle la raconta lors de son procès.

    C'était une brave femme qui soignait par les plantes. Oh ! elle n'était pas allée aux écoles, et ses connaissances en médecine étaient faibles (quoique pas forcément beaucoup plus faibles que celles des médecins officiels de son époque). Alors, elle se contentait de prescrire du vin rouge bouilli avec des herbes, du vin parfumé comme on l'aimait à son époque et comme en faisait dans toutes les maisons, à partir d'herbes que l'on connaissait et qui fournissaient à tous vitamines et sels minéraux sans empoisonner personne.

    Elle y ajoutait une bonne dose de prières qu'elle adressait à la Vierge de la Maix.

    Elle avait une grande dévotion pour cette sainte, et peut-être plus encore, quoiqu'un peu inconsciemment, pour les saintes pierres de la région. En effet, elle prescrivit un jour à une malade de faire bouillir cinq de ces cailloux avec le vin et les épices. Elle les avait pris "en la fontaine de ladite Vierge de Lamet, sur laquelle Elle se reposa un jour que les chiens la chassaient". Elle avait donc, pour se les procurer, parcouru 80 kilomètres à pied, de Dompierre au Lac de La Maix.

    Et elle refit le trajet pour une autre patiente, à qui elle prescrivit de faire célébrer une messe, d'offrir un cierge et de faire coudre un couvre-chef et un surplis pour l'Enfant de la Vierge.

    Tels sont les crimes pour lesquels elle fut emprisonnée à Mirecourt en 1625.

    La Gargantine était-elle bonne chrétienne ? Dans l'intention, oui, à coup sur, mais, à la lire de près, c'est moins à la Vierge qu'aux Saintes Pierres qu'elle demande des miracles. Dans l'histoire que Jennon raconte au tribunal, la Sainte Vierge joue un rôle bien humble. Elle est le bénéficiaire du miracle et non son auteur.





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  • C'était il y a très très longtemps, bien avant que l'arrière grand-mère du Kristkind soit allée chercher sa grand-mère au Rocher des Poupons de Bethléem.

    Il y avait déjà des hautes pierres dans la région du Salm et du Ban de la Roche. Certaines étaient hautes au sens figuré, parce qu'elles étaient habitées par des dieux. Et d'autres étaient hautes au sens propre parce qu'elles avaient été dressées. En Bretagne, on les aurait appelées des menhirs, mais, dans les Vosges, on les appelait simplement des Hautes Pierres. Et là, les choses deviennent très mystérieuses, car qui dit pierre dressée dit des hommes pour la dresser. Ce qui veut dire qu'il y avait des hommes dans la région au temps des mégalithes. Ce qui est très surprenant, car à l'époque, la terre était bien moins peuplée que maintenant. Les hommes n'allaient pas s'installer dans les mauvaises terres, rien ne les y obligeait.

    Alors, qu'est-ce qui a attiré les hommes dans la région à l'époque préhistorique ? Pas les possibilités agricoles à coup sur ! Etaient-ce déjà les richesses minières ?

    Bon, je cesse de m'aventurer sur le terrain humain, car on ne peut faire, pour ces hautes époques, que des hypothèses. Mieux vaut nous borner aux faits bien solides, et nous contenter de parler des Dieux, et plus précisément du Dieu des Hautes Pierres.

    Tout ce qui est bon dans la vallée de la Bruche vient des pierres. Ce serait trop long de toutes les citer. Il y a, bien sur, le Rocher des Poupons à Belmont. La Bonne Pierre, à Vaquenoux. La Haute Pierre au dessus de Moyenmoutier. La Roche Mère Henri au dessus de Senones. Plus celles dont on a cru devoir mutiler le nom, remplaçant le mot "Haute" par des bizarreries du genre "Chaude" ou Chatte" : les Chaudes Roches au dessus de Raon sur Plaine ; la Chatte Pendue au dessus de Salm ; les Pierres-Chattes au Ban de la Roche (on les connaît indirectement par l'esprit qui leur est associé, le Diadelé des Pierres-Chattes).

    Cette déformation du mot "haute" est d'origine "savante" (si l'on peut dire), en tout cas écrite : les transformations du mot s'observent de manuscrit en manuscrit ; elles n'ont rien à voir avec du patois. Si "haute" se disait "chatte" en patois welsche, cela se saurait. J'estime, pour ma part, que cette déformation ridicule et sacrilège provient de l'époque où l'Eglise pourchassait les anciens dieux. Je continuerai donc de parler de Hautes Pierres et non de Pierres-Chattes, car je ne les ai jamais entendues miauler ; de même, je parlerai, bien respectueusement, comme il convient, du Dieu des Hautes Pierres et non du Diadelé des Pierres Chattes, car un Diadelé, c'est un Diable. Or, nul n'a réussi, pas même au temps des procès de sorcellerie, à trouver quelque élément que ce soit, même calomnieux, même déformé, pour imputer la moindre méchanceté à ce prétendu diable.



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  • Au moyen-âge l'empereur Charlemagne adorait la chasse. Il chassait dans les environs de Thionville avec sa meute de 683 chiens. Quand il retournait à Aix-la-Chapelle, les chiens restaient à Thionville.

    Les chiens étaient couverts de puces et se grattaient sans arrêt. Bien à l'abri dans les longs poils, les puces se multiplièrent et envahirent la ville.

    Tous les Thionvillois se grattaient à leur tour. La situation empirait tous les jours, alors les habitants décidèrent d'envoyer un missi dominici à Charlemagne pour lui raconter ce qui se passait.

    Une puce s'était agrippée à l'envoyé et dès qu'il fut reçu par l'empereur, elle sauta sur son nez et le piqua. Charlemagne cria et comprit le problème. Cependant il ne pouvait pas tuer sa meute. Il décida alors de faire construire une tour haute, trapue, énorme et hermétique pour enfermer les chiens.



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